Drone de Simon Bouisson
Lorsque nous l’avions interrogé sur l’IA l’an dernier (Sofilm n° 99), Simon Bouisson fantasmait l’écriture d’un Fenêtre sur cour en collaboration avec une « machine Frankenstein ». Pour son premier long-métrage, le cinéaste laborantin lorgne plutôt sur une œuvre d’un contemporain d’Hitchcock, Michael Powell, et son monstrueux Voyeur, qu’il a envisagé un temps d’adapter librement… Par Boris Szames.
Le film narre l’histoire d’Émilie (campée par la ballerine Marion Barbeau), étudiante en architecture introvertie le jour, camgirl tous rideaux tirés, que visite chaque nuit un drone. L’engin mutique planté devant la fenêtre de son appartement l’entraîne peu à peu dans un jeu SM à l’issue fatale. Plans-séquences aériens filmés au drone, mouvements de caméra sinusoïdaux parfaitement lisses… Bouisson, que l’on sait mordu de nouvelles technologies, déploie son dispositif sur un champ de mines où d’autres ont laissé deux-trois plumes, à l’instar de Romain Gavras et son Athena.
Pas d’effet de manche ici. Drone est un film de l’impur et de l’épure. Impur car à la croisée des genres, arpentant les territoires du thriller voyeuriste à la Brian De Palma (Pulsions), du road movie parano (Duel) et du slasher carpenterien (Halloween, dont le spectre hante la séquence inaugurale où Bouisson nous place dans l’œil du Mal). Épure, ensuite, de l’architecture périurbaine qui décloisonne intérieur et extérieur, visible et invisible. Un fantasme de transparence totale – dont l’infect urbaniste joué par Cédric Kahn a d’ailleurs fait son credo (« Abolir les frontières, c’est ça, le travail de l’architecte ») –, qui pose la question du regard dans une œuvre conçue comme un panoptique. L’œil qui voit, l’œil qui regarde…
Au cœur du mâle
« Les auteurs déploient dans leurs œuvres une obsession jusqu’à la fin de leur vie », nous disait Simon Bouisson. Drone affiche sur grand écran la fascination pour le voyeurisme qui nourrit son travail. Qu’on pense au documentaire Dezoom, intégralement tourné au drone dans des paysages à nu, à la série Stalk, où s’entrelacent harcèlement numérique et revenge porn, voire à l’expérimental Our Baby, singulier objet en VR 3D filmé du point de vue d’un nouveau-né, le désir de cinéma chez Bouisson naît d’une pulsion scopique fébrile. Soit « le fait de s’emparer des individus comme objets de plaisir, et de les soumettre à un regard scrutateur et contrôlant », comme le rappelle Laura Mulvey dans son texte canonique « Plaisir visuel et cinéma narratif » (1975). À l’instar des corbeaux vicelards qui picorent Tippi Hedren dans Les Oiseaux d’Hitchcock (encore lui !), le drone du film de Simon Bouisson dévore sa proie de son œil noir et terrifiant, car aveugle. Prise en chasse par ce bourdon motorisé, Émilie fait aussi l’expérience d’une double dépossession, monnayant l’image érotisée de son corps tout en l’ajustant aux désirs de ceux qui la regardent. Un rapport au réel fantasmatique qui soulève, forcément, l’épineuse question du male gaze. S’il se montre plus intéressé par son dispositif que par un pur commentaire critique, Simon Bouisson se refuse catégoriquement à fétichiser le corps de Marion Barbeau au-delà du point pivot du film, qui voit basculer la dynamique dominant/dominé. Un geste politique d’une intransigeance rare.
Drone, en salles le 2 octobre.