QUEEN & SLIM de Melina Matsoukas

– En salles : QUEEN & SLIM par Melina Matsoukas –

Après avoir signé certains des clips les plus marquants des années 2000 pour Rihanna, Beyonce et tant d'autres, et réalisé des épisodes d’Insecure et de Master of None, Melina Matsoukas fait le grand saut au cinéma. Snobée aux Golden Globes et aux Oscars, cette histoire d’un couple en cavale à la suite d'un contrôle de police qui tourne mal condense pourtant à la perfection toutes les problématiques raciales, de Black Lives Matter à Ferguson, en un road trip charnel et tendu. Rencontre.

 

Sur la route

« On a beaucoup tourné à la Nouvelle-Orléans et dans les environs, mais aussi à Cleveland et dans le Mississipi jusqu'en Floride. C'était vraiment important pour moi de pouvoir tourner sur la route, avoir un paysage qui change. Je voulais représenter tout simplement une Amérique noire qu'on n'avait pas forcément vue à l'écran auparavant. Donc on a commencé au Nord, à Cleveland dans l’Ohio, qui était le dernier arrêt de train pour les esclaves dans leur fuite avant le Canada. La raison, c’est qu’on a voulu construire dans le film une trajectoire inversée de celle des esclaves fugitifs. On s'est donc retrouvés à Cleveland dans un vortex polaire où il fallait qu'on fasse des pauses toutes les 15 minutes pour que les gens de l'équipe ne gèlent pas… Ça se ressent quand on voit Daniel (Kaluuya) à l'écran. »

En voiture

« Je voulais vraiment que le spectateur ressente ce que ça fait de conduire dans sa voiture, à l'aise, comme si on était à la maison… Jusqu’au moment d'entendre la sirène d'une voiture de police et de se faire arrêter sur le bas-côté sans savoir si on sera en mesure de rentrer chez soi ce soir-là. Donc c'était important de choisir la bonne voiture pour les personnages au début. Et je l'ai trouvée au cours de mes repérages à Cleveland dans un quartier black. Le temps de notre présence, on a vu au moins six Noirs se faire arrêter par des flics en voiture. L'un de ces mecs était dans une Honda Accord blanche et c'était évident que c'était Slim, donc on a opté pour ce modèle. Au final, chaque changement de voiture est devenu un point tournant du scénario. »

 

Dans la rue

« J'ai fait pas mal de recherches iconographiques sur des mouvements de protestation et des émeutes dans le monde entier. J'ai retrouvé des archives de ce qui s'était passé à Ferguson, en Afrique du Sud, aux marches pour les droits civiques dans les années 70. Mes parents étaient très engagés, donc très jeune j'ai participé à pas mal de manifestations. Je savais que je voulais retrouver cette sensation de faire partie d'un mouvement chaotique, avec de la colère parfois mais aussi ce sens de la camaraderie et cette sensation de puissance quand on est très nombreux… Dans le film, c'est devenu un mouvement de soutien involontairement initié par les personnages de Queen et de Slim. »
 

Au bar

« Au cinéma, il circule un cliché sur la façon d’éclairer la peau de comédiens noirs quand on tourne dans une pièce sombre, et qui consiste à se dire qu'il faut énormément d'éclairage. J’ai dû me poser la question notamment pour la scène de bar où Queen et Slim dansent lascivement. Mais personnellement, j'aime laisser des choses dans l'ombre. Parfois il m'arrive même de n'utiliser aucune source de lumière. Ça donne du mystère, une ambiance, un ton particulier. Surtout dans cette scène. Plus généralement, c'est une chose que je dois travailler avec soin, parce qu'il y a une multitude de types de peaux noires, qui méritent d'être filmées différemment parce qu'elles ne réagissent pas toutes de la même manière à la lumière : certaines sont plus absorbantes, d'autres plus brillantes… »
 

– Propos recueillis par Raphaël Clairefond