Enquête : DAVID LYNCH, gourou transcendantal

– Enquête : DAVID LYNCH, gourou transcendantal –

On savait le réalisateur de Twin Peaks amateur de méditation transcendantale. Depuis un an, il a apporté une nouvelle pierre à son édifice spirituel : un master de formation qui mêle cinéma et méditation, le tout à la Maharishi University of Management. Visiblement, les élèves adorent.

« J’étais à fond dans le bio, dans les modes de vie alternatifs et j’avais pas mal voyagé pour des documentaires sur la préservation des cultures indigènes, notamment chamaniques. Cette formation m’intéressait pour le côté spirituel, j’avais envie d’expérimenter autre chose. »
Laura Bustillos Jaquez, une Mexicaine de 25 ans, suit actuellement les cours du « master Lynch » à Fairfield, modeste bourgade de l’Iowa, en plein midwest américain. Ce programme de cinéma, lancé en 2013 par le réalisateur de Lost Highway et Mulholland Drive, est abrité dans les locaux de la Maharishi University of Management (MUM). « Maharishi », comme dans Maharishi Mahesh, du nom du yogi indien qui a introduit la méditation transcendantale en occident dans les sixties en devenant le gourou des Beatles, et que Lynch a personnellement rencontré en 1975. L’objectif de cette drôle de formation ? « Plonger, transcender et expérimenter cet océan sans limites de pure conscience, qui est source de créativité, de bonheur, d’amour, d’énergie, de pouvoir et de paix illimités », écrit David Lynch dans sa note de présentation.
« C’est vraiment puissant. Quand on est stressés pour tourner une scène, on fait une pause, certains méditent, d’autres font autre chose et on reprend le travail plus apaisés. » 
Laura Bustillos Jaquez, élève
Depuis 2012, une quinzaine d’étudiants sont donc sélectionnés chaque année pour intégrer ce cursus de dix mois divisé entre une partie technique, avec un apprentissage des différents métiers du cinéma – écriture, production, post-production, distribution… –, et une partie spirituelle, qui voit les étudiants méditer ensemble chaque jour vingt minutes avant la première classe à 9 h du matin, dix minutes avant le déjeuner et vingt autres en fin de journée. Ils en ressortent un diplôme de cinéma en poche et un projet de film réalisé. Étrange, mais manifestement efficace. « C’est vraiment puissant. Quand on est stressés pour tourner une scène, on fait une pause, certains méditent, d’autres font autre chose et on reprend le travail plus apaisés », explique Laura Bustillos Jaquez. L’aura du réalisateur est également un bon argument de vente. Érigé en mentor de la formation, Lynch intervient par vidéoconférence à la rentrée des classes et plusieurs fois pendant l’année. « On peut lui poser des questions, il nous écoute et partage avec nous des réflexions. Certains étudiants l’ont même rencontré dans son studio de Los Angeles l’an dernier », raconte Lloyd Wilcox, 29 ans, qui se verrait bien en Californie lui aussi.
 
Chakras ouverts
Au fond, ce cursus n’est que l’aboutissement de la passion que le réalisateur porte depuis quarante ans à la méditation transcendantale. La légende raconte que tout aurait commencé le 1er juillet 1973, aux alentours de 11 h du matin. Complètement ruiné, Lynch peine à boucler son premier chef d’œuvre, Eraserhead, et sa femme ne supporte plus ses sautes d’humeur. Alors, plutôt que de péter les plombs, il tente pour la première fois ce que William F. Sands, directeur du département de science védique du MUM, présente comme n’étant « ni une religion, ni une philosophie mais un apport de relaxation et de sérénité. » Question relaxation, le cinéaste est depuis passé maître en la matière. En 2005, il lance la Fondation David Lynch, avec l’humble ambition de défendre « la paix dans le monde et une éducation fondée sur la conscience. » Concrètement, Lynch met en place des programmes de « silence » dans une centaine de lycées américains des quartiers difficiles afin de canaliser le stress et lutter contre la violence. En 2006, il écrit Mon histoire vraie : méditation, conscience et créativité, où il détaille son goût pour la pratique transcendantale. Lynch enchaîne les rencontres aux quatre coins du monde pour prêcher la bonne parole. Et il peut compter sur ses amis. En mai 2014, Jim Carrey est ainsi venu faire un tour au MUM, où il était l’invité d’honneur de la cérémonie de remise des diplômes. Ce jour-là, devant 280 étudiants, l’acteur se fend d’un étrange discours inaugural, mélange acrobatique de stand-up et de conseils spirituels : « Mon âme n’est pas enfermée dans les limites de mon propre corps. C’est mon corps qui est enfermé dans l’infini de mon âme. » La vidéo du discours dépasse les 3 millions de vues sur Youtube, un joli coup pour cette université perdue au fin fond de l’Iowa. Via sa fondation, Lynch, 68 ans, est donc devenu un gourou à son tour. Certes, côté cinéma, il n’a plus rien fait depuis Inland empire, en 2006. Mais bonne nouvelle : pour les 25 ans de Twin Peaks, il a déclaré qu’il allait réaliser une troisième saison de neuf épisodes, qui sera diffusée en 2016 sur Showtime et poursuivra l’enquête autour de la disparition de Laura Palmer. Les chakras bien ouverts. Sabrina Bouarour.