LA MER ET SES VAGUES de Liana & Renaud

À Beyrouth, la crise économique a mangé les hommes. Lorsque Najwa et son frère Mansour arrivent dans la capitale, ne reste plus qu’une vendeuse de loto, un vieux gardien de phare et quelques silhouettes. Réussiront-ils à fuir pour rejoindre l’être aimé, exilé à des milliers de kilomètres ? Droit et majestueux au milieu des gratte-ciel, le phare couvrira-t-il à nouveau la ville de ses rayons ? Dans un premier long-métrage particulièrement envoûtant tourné en argentique, Liana & Renaud soufflent les questions plutôt que les réponses. Le plaisir est de sonder ces personnages qu’une attente douloureuse fait languir. À la fois plongés dans l’obscurité et guidés vers la lumière, tous ressemblent à des jouets abandonnés sur une trop grande scène de théâtre. Le conte, les intermèdes musicaux et les scènes de rêveries qui accompagnent le film sont d’une beauté plastique impressionnante et parlent à notre âme en secret. À l’occasion de la projection du film à l’ACID, rencontre avec le duo de réalisateurs qui navigue entre la France et le Liban.

Comment est née l’idée d’un film à la fois enchanté et ancré dans la réalité de Beyrouth ? 
Renaud : C’est l’ancien phare de Beyrouth, entouré par la modernité, qui a été l’image source du film. Et puis petit à petit, d’autres images nous sont apparues jusqu’à former un conte qui parle de la mer, de l’histoire d’une ville. On fonctionne toujours comme ça au niveau de l’écriture, on suit le fil des apparitions, des sons, qui nous viennent comme des certitudes pour raconter une histoire plutôt que d’inventer des images à placer dans une histoire que l’on aurait préécrite. 

Liana : Ce n’est qu’après s’être posées toutes les questions qui gravitaient autour de la lumière éteinte de ce phare, qui est toujours occupé par un gardien dans la réalité, que sont arrivées les questions de la migration, des déplacements dans une ville blessée. Et puis alors qu’on avait pratiquement terminé le scénario, nous avons été confrontés à la crise économique, aux black-out, au départ massif de la moitié de la population, au sentiment d’être dépeuplé, tous ces événements circonstanciels sont venus donner une substance, un présent au tournage, même s’il on reste toujours fidèles à une volonté de cinéma plutôt qu’à vouloir défendre un propos. 

Ce Beyrouth dépeuplé donne parfois l’impression d’une grande théâtralité.
R : Il y a l’idée de l’artifice, le côté artisanal qui permet d’évoquer tout un hors champ avec peu d’objets mais je parlerais plutôt d’un appel au conte. On a rencontré des conteurs pour comprendre comment emporter le spectateur avec de simples mots, comment arriver à lui évoquer des images très fortes en partant de la langue, c’était intéressant de voir ce qu’il se passe au cinéma quand les mots créent des images. 

L : Il y a aussi l’analogie du phare qui éclaire le film comme un projecteur. Là encore, on a dû composer avec la crise économique et les black-out qui ont plongé les rues de Beyrouth dans un noir très très opaque. L’équipe technique et l’équipe des électro devaient éclairer les rues et la corniche, c’est peut-être ces allers-retours des lumières artificielles qu’on allume et qu’on éteint qui peuvent faire penser au théâtre. 

R : Quant à Hanane Hajj Ali et Roger Assaf, qui incarnent la vendeuse de loto et le gardien de phare, ce sont deux piliers de la scène de théâtre au Liban, mais c’est un peu le hasard. 

Qu’en est-il des deux autres acteurs principaux ? 
R : Les deux rencontres ont été très différentes. En ce qui concerne Mohamed, on cherchait un musicien, d’abord un flûtiste, quelque chose de boisé. Lui joue du mejwiz, qui produit un son beaucoup plus électrique qui ressemble à un cri, à un bouillonnement intérieur, on a tout de suite su que nous devions tourner avec lui.

L : Mays a rejoint l’équipe à 5 jours du tournage. Sur la petite centaine de personnes qu’on a rencontrées, elle était tellement disponible, prête à l’aventure. Elle est aussi chanteuse, musicienne et clarinettiste. Elle vit dans un camp à la Bekaa et elle brise tous les stéréotypes que l’on pourrait avoir sur les jeunes filles qui habitent dans les camps. Son père était d’une générosité absolue, très ouvert à tout ce qui pourrait se passer, il nous a accordé une confiance totale, il nous a dit « maintenant, c’est votre fille, à vous de sortir le meilleur d’elle. »