AMANDA de Mikhaël Hers

– LE FILM DE LA SEMAINE : AMANDA –

Dans une métropole cosmopolite et très verte, la vie de tous les jours, avec ses petits moments. Et puis le drame, la folie, l’irréel d’attentats en plein Paris. Soudain, un Vincent Lacoste toujours sur la brèche est confronté au deuil de sa sœur et doit s'occuper de sa jeune nièce… Après Ce sentiment de l’été, Mikhaël Hers nous montre encore une fois comment vivre, aimer et grandir malgré l’absence. Et toujours en été.  

FILMER PARIS, OUI MAIS LEQUEL ?

Mikhaël Hers : J’ai grandi en banlieue parisienne, je vis à Paris depuis très longtemps. J'ai beaucoup de mal à écrire à partir de lieux que je ne connais pas, j’ai besoin d'imaginer l'endroit. Si je pense à un square, je pense au square Gardette. Je l'ai vraiment en tête et c'est beaucoup plus facile. Ces quartiers-là, je les ai choisis parce qu'il y avait ce rapport affectif aux lieux et aussi parce que je trouvais que c'était un Paris qui échappe un petit peu aux classifications, qui brasse, métissé. Ce n'est pas le Paris des bars, ce n'est pas le Paris bourgeois du XVIe, ni le Paris du Quartier latin des étudiants. Il y a quelque chose pour moi d'extrêmement parisien, de l’ordinaire, du trivial.


FILMER LES ATTENTATS, OUI, MAIS POURQUOI ?

MH : On arrive à ce moment à la fois très cru, très réel et en même temps complètement déréalisant, avec la confrontation à cette chose à laquelle le personnage n'est évidemment pas préparé. Les images ne sont peut-être même pas encore parvenues totalement à son cerveau. Mais je trouvais que le film ne pouvait absolument pas faire l'impasse sur leur représentation. On a été saturés d'images qui créent du vide plutôt que vraiment du sens, de la matière qui nous aide à penser. J'avais l'impression que ç'aurait été une fausse pudeur terrible que le film choisisse de loger cela dans l'ellipse. J'avais envie de capturer quelque chose de la fragilité, de la violence, de l’électricité de l'époque. Et de faire un portrait de ce Paris post-attentats, sans en faire un film non plus phagocyté par cette question. J'ai le sentiment que peut-être la fiction pouvait se faire le relais de cette réalité par le prisme d'une tragédie intime. S'en réemparer à hauteur de personnes. C'est quelque chose qui appartient à l'imaginaire collectif maintenant et qu'on on a tous vécu de façon intime mais qui a été restitué seulement de manière journalistique, sociologique, sociétale. C'était pour moi inconcevable d'inventer une victime fictive pour un attentat réel. Avant, on pouvait mourir fauché par un bus. Maintenant on peut potentiellement aussi tomber sous une balle. C'est une idée toujours présente de manière diffuse, impalpable. L'espace public a changé. Il y a quelque chose qui est là, dans le conditionnement des gestes les plus quotidiens. Ce n'est pas rien.

FILMER LE DEUIL, OUI MAIS COMMENT ?

MH : Le personnage de Vincent Lacoste est très jeune, il fait encore des boulots à droite à gauche et du jour au lendemain il se retrouve avec la responsabilité d’aller chercher sa sœur à l'école et de lui expliquer les choses. La vie fait grandir plus vite. Il y avait la volonté de faire un film autour de la figure d'un grand enfant qui accompagnerait un petit enfant – dont on ne sait pas d'ailleurs forcément qui est le plus à même d'aider l'autre – rapprochés par une béance, une disparition. Une volonté de parler de paternité. Là c'est une paternité par héritage, accidentelle. Je voulais un film lumineux, porteur d'une douceur et d’une bienveillance, sans être béat ou naïf. Montrer que le parcours va être long et pénible, mais qu'il y a un parcours possible. J'ai envie de parler de gens qui sont désaxés, pas forcément comme il faut. J’ai envie qu’ils se sentent compris à un endroit de leur solitude.
 
– Tous propos recueillis par Charles Alf Lafon