HEARTSTONE de Gudmundur A. Gudmundsson

– LE FILM DE LA SEMAINE : HEARTSTONE –

Un film islandais à l’affiche, ce n’est pas commun, et une belle histoire réussie de coming of (et out) age encore moins. Si le nom de Guðmundur Arnar Guðmundsson semble un virelangue, mémorisez-le : il s’agît d’un vrai cinéaste.

 
Au début il y a la rage. A preuve, la scène d’introduction : une partie de pêche à la ligne entre amis, tout ce qu’il y a de plus innocente se transforme vite en séance d‘écrasage à coups de pompe d’un poisson rare. Raison au carnage ? C’est un gamin serrant les poings et fronçant les sourcils comme pour se donner des airs de Robert De Niro des fjords qui va l’énoncer : « Ce poisson est vraiment trop moche… » La rage encore. Quelques plans plus tard, les deux protagonistes relancent la machine de leurs jeux d’enfants, tout sauf innocents. D’un côté, il y a le grand blond faussement nonchalant. De l’autre, le petit brun à la bouille ronde et au regard sombre. C’est l’été, le temps s’étire et avec lui la liste des méfaits possibles de nature à tromper l’ennui. Pourquoi ne pas s’offrir une virée sauvage et joyeuse dans une casse automobile ? Pas con. À force d’exploser quelques pare-brises et rétroviseurs, une légère poussée d’adrénaline survient. Viendront après des scènes d’action et vérité qui forment, mine de rien, un enjeu sexuel d’importance. Mais aussi des envies de suicides et des torrents de chaudes larmes qui viennent toujours quand on réalise que les adultes, franchement, quels êtres imparfaits. Comme dans L’Esquive (Abdelatif Kechiche, 2004), Naissance des pieuvres (Céline Sciamma, 2007) ou encore Kes (Ken Loach, 1970), dans Heartstorm, il est question d’adolescence et donc de transition.

 
Des œufs dans l’eau frémissante
Au titre des performances de ce premier long métrage signé Guðmundur Arnar Guðmundsson il y a celle-là : jamais cet âge n’est observé et filmé avec trop de bruit ou énormément de fureur. Bien au contraire. Les deux inséparables Thor et Christian ont donc 13 ou 14 ans. La caméra enveloppante du réalisateur en a fait deux prototypes de personnages à la Bresson ou Dreyer. Ces deux-là sont vus comme deux œufs dont la coquille se fendillerait une fois placée dans l’eau frémissante. Unité de lieu : un village de pêcheurs islandais loin du tumulte de Reykjavik. Unité de temps : un été passé à flirter, se toucher et gérer quelques tempêtes intérieures du mieux qu’on peut. Unité d’action : rien qui ne soit clairement montré. Car si Heartstorm est parfois annoncé comme un teen movie il y a tromperie sur la marchandise. Le même genre de tromperie sur la marchandise qui a vendu Moonlight comme un manifeste gay. Des deux d’ailleurs se dégage le même charme un peu morose, le même type de douceur. Si on ne sait pas encore jusqu’où peut aller la révélation Guðmundsson, disons que ce cinéaste a déjà fait un choix esthétique fort dès son premier film : raconter l’âge de ses deux principaux protagonistes au plus près, confondre l’adolescence avec la nature faussement paisible de son Islande natale. Il sera bien temps pour Thor et Christian de s’arranger avec leurs orientations sexuelles, leurs affects et tous ces choix moraux de nature à former leur entrée dans l’âge adulte. Mais le temps d’un été en transition il faut laisser couler la rage. – Jean-Vic Chapus
 
Heartstone, un film de Guðmundur Arnar Guðmundsson, avec Baldur Einarsson, Blær Hinriksson, Sveinn Ólafur Gunnarsson. Actuellement en salles.