Des preuves d’amour de Alice Douard

Par Léo Ortuno.

Céline et Nadia attendent un enfant. L’une est enceinte, l’autre non. Pour être légalement mère, Céline devra adopter le nourrisson à sa naissance. Comme si cela ne suffisait pas, le couple doit fournir à la justice des lettres de proches visant à attester que cette famille est bien « comme les autres » aux yeux du juge. Voilà les fameuses preuves d’amour, nécessaires depuis 2014 et le passage de la loi Taubira, permettant aux couples homosexuels d’avoir un enfant. Avec ce premier long-métrage inspiré de son expérience personnelle d’adoption, Alice Douard inspecte le quotidien mouvementé de cette grossesse. Au lendemain de la promulgation de la loi, personne ne comprend vraiment comment ce nouveau système fonctionne. Sans tomber dans un didactisme évident, la réalisatrice se concentre sur ses personnages et leurs ressentis. Une des répliques illustre bien les multiples questionnements de Céline, lorsqu’un ami lui demande : « Quest-ce qui te fait le plus peur, adopter ou avoir un enfant ? »

Ménage à trois

Dans le rôle de l’adoptante, Ella Rumpf est magnétique, un seul regard suffisant à transmettre la complexité des émotions qu’elle traverse. Monia Chokri interprète une femme enceinte dont les montagnes russes hormonales donnent lieu à des échanges hilarants. Des preuves damour s’articule entre les moments d’intimité de ce couple et les rencontres avec leurs proches pour recueillir ces précieuses lettres. Dans cette quête, Céline doit renouer avec sa mère, célèbre pianiste, dont l’éducation de sa fille n’a été qu’un léger contretemps dans le rythme effréné de sa vie. Une approche de la maternité à l’opposé de celle du couple, dont l’enfant est devenu le centre de la vie. Noémie Lvovsky complète ce casting, jouant à fond l’excentricité de la pianiste habitée par Beethoven et Chopin. Le trio est parfait, servi par des dialogues brillamment écrits.

Alice Douard s’amuse du grotesque de différentes situations qui touchent de près ou de loin à la maternité. La comédie culmine lors d’une scène avec un jeune médecin qui ne sait pas vraiment comment s’adresser à ce couple de femmes. Dans une maladresse réjouissante, il fait comme si elles allaient toutes les deux accoucher. Des preuves damour sait aussi être plus sensible, en montrant par exemple la pudeur de ces deux femmes dès qu’elles ne sont plus dans le cocon de l’appartement. Lors d’un rendez-vous de préparation à l’accouchement, ce sont les seules à ne pas être ensemble, côte à côte, en écoutant les conseils de l’aide-soignante. Elles ne s’embrassent pas non plus dans l’espace public, dans une forme de retenue visant peut-être à éviter les regards déplacés. Une manière délicate de montrer que Céline et Nadia ont pu souffrir de discrimination, sans pour autant que le film les pointe du doigt ou règle des comptes. En abordant le couple et la parentalité, Alice Douard signe une œuvre fédératrice et généreuse.


Des preuves d’amour, en salles prochainement.