VIF-ARGENT de Stéphane Batut

– En salles : VIF-ARGENT –

Voici un film qui renouvelle avec naturel et romantisme cette vieille question des revenants. Et qui nous rappelle aussi qu’aller au cinéma sert surtout à regarder des acteurs (Robart et Chemla) et des villes (Paris). Ce n’est pas pour rien qu’il a récemment reçu le prix Vigo 2019. Belle promenade avec l’amour et la mort aux Buttes-Chaumont.

 
Quand on est enfant, il est parfois difficile de comprendre qu’après la mort d’un personnage, le film puisse être encore montré, alors que ce dernier a cessé d'exister. Il en va de même quand on apprend la mort d’un acteur célèbre. Quelque part, on voudrait imaginer que le défunt disparaisse de ses films, des lieux auparavant occupés par son corps. Autrement dit : quand on découvre le cinéma, on ne l’imagine pas du tout comme un dispositif mécanique. À l’époque des frères Lumière, de nombreux intellectuels avaient prévu que le cinéma deviendrait un outil pour conserver un souvenir des êtres chers disparus. Vif-Argent se place quelque part entre l’enfance du spectateur et celle du cinéma. Et nous invite à réfléchir à la place des morts au cinéma. Au moins celle de ces morts-vivants que le scénario rend alternativement visibles et invisibles, et qui ont une date de péremption une fois décédés, avant la fin définitive de leur séjour sur terre. Les films qui nous parlent des revenants doivent toujours faire face au même défi, à la même difficulté : comment les filmer ?

Les jours et les nuits des morts-vivants
Stéphane Batut s’attaque au challenge en proposant différentes tentatives. Il les filme en tant que corps visibles, en tant qu’êtres semi-transparents et comme des créatures invisibles (même si cela ne les empêche pas d’avoir une véritable présence, capable de faire jouir la personne aimée lors d’une rencontre nocturne). Il en tire trois situations alternatives : parfois, les revenants ne peuvent se voir qu’entre eux, comme si le monde était presque vide ; parfois ils sont visibles des vivants, comme si tout était normal ; et parfois ils peuvent voir les vivants mais pas le contraire. Mais les choses méritent d’être racontées dans l’ordre. Au début du film, le héros (Thimothée Robart) meurt lors d’un accident et son fantôme est sauvé par une étrange organisation bureaucratique dont la mission est de capter les gens qui meurent, les faire se souvenir d’un beau moment de leur vie et les amener à l’endroit où il a eu lieu. Leur permettre, en quelque sorte, de revivre ce beau moment, pour valider leur passeport définitif pour l’au-delà. Problème : Robart ne se souvient de rien du tout. On lui donne alors un nom (Juste) et un travail : intégrer l’organisation pour faire le passeur à son tour, auprès des personnes décédées. Tout se déroule plus ou moins bien pour lui jusqu’au jour où Agathe (Judith Chemla, encore une fois parfaite) croise son chemin et se met à le suivre. Elle croit le reconnaître, mais c’est un vieux souvenir, d’un autre temps, d’un autre lieu. Presque d’une autre vie. Juste tombe amoureux d’Agathe et c’est là que la chose devient compliquée, sinon paradoxale : Juste, pour la première fois, se souvient de quelque chose. C’était bien lui qu’elle avait rencontré, il y a des années. Et ce souvenir l’approche de sa fin définitive comme être en chair et en os. Mais peut-être pourra-t-il continuer à exister en tant qu’esprit… ?
Le scénario brouille les pistes et propose différentes solutions possibles pour que Juste et Agathe sortent de ce beau problème. Et va même jusqu'à suggérer quelques réflexions philosophiques. Mais finalement, c'est cette bonne vieille invention des Lumière qui vient à la rescousse : non comme un outil pour garder la trace des morts, mais comme une façon de documenter le vivant. C’est comme ça que Vif-Argent, au-delà du romantisme mercuriale qui rime avec son titre et de sa sombre spiritualité, permet de contempler les rues du XIXe arrondissement parisien, les visages de ses habitants, les bouches du métro, le canal, les couchers de soleil au parc des Buttes-Chaumont… Des images que la caméra de Batut enregistre avec un véritable plaisir. Le même qu’il a aussi à exhiber la veste la plus cool qu’on verra sans doute cette année au cinéma, et qui ne ferait pas tache dans un placard à côté de celle que portait fièrement Nicolas Cage dans Sailor et Lula. Face à des films comme celui-ci, on peut presque se dire que Griffith a inventé une industrie où les scénarios ne sont rien d'autre qu'un prétexte pour voler des images. Quintin