LE GARÇON ET LE HÉRON de Hayao Miyazaki
On le sait, Hayao Miyazaki n’a cessé de clamer la fin de sa carrière depuis… Princesse Mononoké. Et pourtant le revoilà, à 82 ans, avec un nouvel opus à la fois dark, complexe et foisonnant dont il a le secret, découvert à l’avant-première française au Festival Lumière, de Lyon.
Le Garçon et le Héron serait-il un bon film-somme pour tirer sa révérence ? On ne sait jamais avec Miyazaki, qui voudrait laisser en héritage la densité d’un imaginaire guérisseur, semant tous les cailloux qui pourraient permettre à ses successeurs de prendre le relais de sa grande ambition à la fois cinématographique, écologiste et humaniste.
Le film démarre sur le motif – familier et obsédant chez lui – de la Seconde Guerre mondiale, mais il lui tourne très rapidement le dos : Mahito et son père quittent la ville pour la campagne et le jeune garçon de s’immerger dans une nature verdoyante, avec en son cœur une mystérieuse tour autour de laquelle rôde un héron cendré. La bande son, bien que ne portant pas de grand thème mélodique, distille des indices sensibles de l’hyperacousie du jeune garçon. Sa perception du monde alentour semble décuplée par le fait qu’il n’émet lui-même aucun son. Chahuté par la fatigue et les visions de l’incendie dans lequel a péri sa mère, les mondes imaginaires et inconscients le happent à plusieurs reprises. Miyazaki trouble alors les repères du « monde réel » en transformant le sol ou le lit de Mahito en surfaces molles ou aqueuses. S’évanouir devient ainsi le prétexte pour perdre pied et passer la frontière des mondes oniriques.
Mais ce ramollissement vient aussi se heurter au motif rocheux qui se décline dans le film : l’une des scènes les plus marquantes étant celle où Mahito, sur le chemin retour de sa nouvelle école, ramasse une pierre et se frappe violemment la tête, provoquant une coulée abondante de sang que ne préparait nullement le calme de la scène ni la bande son. Cette sorte de dissociation soudaine entre ce qui « paraît être » et ce qui « est véritablement » dit beaucoup de l’agitation intérieure de Mahito, à la recherche d’une échappée. D’abord miniature et mutilante dans le monde des humains, la pierre devient ensuite noyau du monde imaginaire, énorme et incandescente.
La pépinière d’Hayao
Les films de Miyazaki sont chargés de symboles à déchiffrer. Ici Le Garçon et le Héron tisse des liens ténus entre les tableaux et les personnages, particulièrement dans la seconde partie qui déplie un univers chaotique peuplé d’indices et de créatures invasives. Ce monde souterrain, Mahito y glisse par le biais de tapis mouvants. Seule la logique de l’impossible juxtaposition de deux mondes fait loi. D’emblée une inscription solennelle, gravée au-dessus du portail de ce nouveau monde, met en garde Mahito dans le même temps qu’elle défie le spectateur : si nous cherchons trop à comprendre, nous « périrons ». Ne faudrait-il alors pas prendre Miyazaki au mot et lâcher prise ? Le grand dessinateur déroule une de ses partitions les plus denses, comme une longue improvisation musicale. Ceci explique peut-être d’ailleurs le fait que la musique d’Hisaishi ne trouve pas sa juste place, le dessin étant de plus en plus glouton. Perruches et pélicans se démultiplient et saturent l’écran, à l’image de cette scène où les viscères d’un grand poisson débordent et ensevelissent Mahito. Le royaume s’avère être une immense pépinière du monde vivant.
On peut seulement regretter que cette générosité des espace-temps, des couleurs et des formes ne laisse pas plus le temps aux personnages de tisser de vrais liens affectifs. Chaque scène dit quelque chose à plus grande échelle de la démesure globale de ce monde imaginaire, offrant par la même occasion une multitude de clins d’œil aux précédents films du cinéaste. Ici une forêt semble encore abriter Totoro, là un kiosque rappelle le jardin de Gina dans Porco Rosso… Chacune des portes en bois du long couloir dans lequel courent Mahito et Himi semble pouvoir s’ouvrir sur un monde passé ou en devenir.