Crystal : le capucin qui fait son Monkey Business

Elle a donné des baffes à Ben Stiller dans La Nuit au musée, servi de mule à des dealers dans Very Bad Trip 2 et, dernièrement, elle a dévasté le salon de la famille Fabelman pour le compte de Steven Spielberg. À 30 ans, dont plus de 25 de carrière, Crystal peut se targuer d’un CV sans égal dans le monde de la faune-fiction. Qu’est-ce qui fait de ce singe capucin une comédienne de premier plan ? Réponse avec son dresseur et ceux qui lui ont donné la réplique.

Rude journée pour Sammy Fabelman. Martyrisé par des camarades de lycée tout contents de lui avoir asséné un smash de volley en pleine figure, il est accueilli à la maison par une ampoule se fracassant contre la porte d’entrée, à peine le palier franchi. L’adolescent, incarnation du jeune Steven Spielberg dans le dernier film du réalisateur, découvre bouche bée l’auteur du jet, perché sur un lustre. Un singe capucin, baptisé Bennie ! Et un facteur de chaos supplémentaire pour ce foyer déchiré, que la mère de Sammy dit avoir adopté parce qu’elle avait « besoin de rire ». Au cours d’un dîner en famille, Mitzi Fabelman (Michelle Williams) finira par se confier davantage sur sa fascination pour les primates : « Si vous regardez les singes suffisamment longtemps, vous comprenez qu’ils en savent beaucoup plus que tout ce que l’on peut imaginer.» Ce n’est pas l’interprète de Bennie dans The Fabelmans qui démentira son propos. Car pour ce qui est du métier d’acteur, du star-system et de la jungle hollywoodienne, Crystal en sait davantage que bien des humains. 

Docteur Doolittle (1998)

Ne vous fiez pas à sa petite cinquantaine de centimètres et à ses quelques kilos sur la balance : Crystal, 30 ans, est un poids lourd. Depuis ses débuts à l’écran dans les années 1990, elle a tourné pour James Mangold et Cameron Crowe, partagé l’affiche avec Ben Stiller, Eddie Murphy, Bradley Cooper, Scarlett Johansson et Matt Damon. Il y a quatre ans, elle a même fait sa première incursion dans le cinéma bollywoodien ! Un CV qui lui a valu d’être présentée en 2012 comme « l’animal le plus puissant d’Hollywood » par le Los Angeles Times. Et une carrière à faire pâlir d’envie la plupart de ses collègues appartenant à l’espèce des Homo sapiens. « C’est impressionnant de voir à quel point la sienne se déroule bien mieux que la mienne», constate dans un éclat de rire David Milchard, partenaire de jeu de Crystal dans Russell Madness et Monkey Up. Mais Crystal n’a rien d’une self-made monkey. Son succès tient pour une bonne part à la relation nouée avec son dresseur, Tom Gunderson. « Tom est un type détendu, avec beaucoup d’humour, et il dégage des ondes positives. Je crois que Crystal en est amoureuse», avance la comédienne Betsy Sodaro après avoir côtoyé le duo sur le tournage de la série Animal Practice.   

L’école Universal Studios 
Chemise à carreaux bleus et verts, bouche cerclée par un bouc et lunettes en équilibre précaire sur le nez, Tom Gunderson a toujours éprouvé une fascination sans borne pour les animaux. Lorsqu’il était gosse, l’affable quinquagénaire pensait devenir vétérinaire. Une expérience dans un cabinet pendant ses années lycée l’en a finalement dissuadé. « Je n’arrivais pas à me détacher émotionnellement de certaines choses que les vétérinaires doivent régulièrement faire, comme euthanasier les animaux, se rappelle-t-il. Gérer cela en professionnel était impossible pour moi.» Tom a trouvé d’autres moyens pour assouvir sa passion. En travaillant d’abord dans un parc animalier à San Diego, puis en étant embauché par Birds & Animals Unlimited, agence spécialisée dans la fourniture d’animaux de tous poils pour le cinéma, la télévision et la publicité. 

C’est en juillet 1996 que se croisent les chemins du dresseur et de Crystal. À bientôt 4 ans, elle a fait le voyage de la Floride à la Californie en compagnie de deux autres singes. Son avenir est tout tracé chez Birds & Animals Unlimited, propriétaire de Crystal, entre plateaux de tournage et Animal Actors, spectacle incontournable du parc Universal Studios pour lequel travaille Tom. Remarque-t-il immédiatement chez ce singe des talents d’actrice innés ? « Pas du tout ! Pour être honnête, elle était assez agressive au tout début. » Un lien indéfectible commence cependant à se créer entre lui et le singe capucin dès leur deuxième journée ensemble : « Crystal était en quarantaine. Elle était accrochée à la grille quand ses yeux ont tout à coup roulé dans leur orbite, comme si elle avait une attaque. Je me suis précipité à l’intérieur pour l’attraper avant qu’elle ne tombe. Elle était allongée dans mes bras, je ne savais pas comme elle allait réagir à son réveil. Lorsqu’elle a repris ses esprits, elle a cligné des yeux plusieurs fois, m’a regardé attentivement, puis a lentement repoussé mon pouce sur le côté pour s’extirper de mes bras. J’étais scotché ! C’était un moment très touchant et le vétérinaire m’a ensuite dit que tout allait bien. » 

George de la jungle (1997)

Guidée par Tom, Crystal fait ses débuts de comédienne à Universal Studios. Elle y restera des années, se forgeant au passage un professionnalisme à toute épreuve. « Avec les animaux, tout ce que l’on fait a pour but d’éliminer le moindre stress chez eux, à leur faire comprendre que ce qui se passe est naturel, expose Tom Gunderson. En grandissant à Universal Studios, ils s’habituent aux effets pyrotechniques, à la musique, à la foule. Crystal a été exposée à tout cela petit à petit. Aujourd’hui, elle n’y prête même plus attention. » Quand le producteur d’une publicité pour la chaîne de magasins Target, inquiet, s’est demandé s’il fallait restreindre le nombre de techniciens ou s’abstenir de manger certaines choses en plateau, Tom s’est tout de suite montré rassurant : « Vous pouvez avoir 100 personnes dans une pièce, vous pouvez même manger une banane en face d’elle, elle restera concentrée sur moi quoi qu’il arrive.» 

L’art de se bouffer le nez 
Le temps et les films passant, Tom a adapté sa méthode de travail avec Crystal. Il réduit toujours plus l’usage de la laisse pour lui apprendre à avoir le comportement attendu – les friandises données en guise de récompenses n’ont en revanche guère évolué : pistaches, noix et yaourts. Crystal a aussi élargi sa palette de jeu depuis ses débuts à l’écran dans George de la jungle en 1997. Vous cherchez un singe capucin se comportant comme tel ? Elle fera l’affaire. Vous avez besoin d’un animal à l’anthropomorphisme troublant ? Ne cherchez pas plus loin ! « Au tout début, je ne savais pas ce qu’elle était capable de faire ou non. J’avais peur de passer mon temps à attendre qu’elle agisse comme voulu, reconnaît Phil Gorn, réalisateur du film Gibby, dans lequel Crystal tient un rôle crucial. Ça ne s’est pas du tout passé comme je le craignais. Quand elle devait faire des choses auxquelles elle est habituée, notamment tirer la langue ou faire la statue, Tom avait juste un signal à lui donner. J’ai fini par comprendre qu’elle pouvait enchaîner une série de gestes précis en une seule prise ! » 

Malgré ce répertoire en constante évolution, il arrive parfois qu’une scène donne du fil à retordre au dresseur et au singe. Exemple avec une partie de poker dans un épisode d’Animal Practice. « Dans cette scène, elle faisait équipe avec un type essayant de tricher et elle lui envoyait des signaux. Il fallait qu’elle touche son nez ou le lobe de son oreille, des gestes très subtils, détaille Tom Gunderson. Elle devait en plus ramasser les jetons dans un sac avec un râteau de croupier. Lui apprendre tout cela a nécessité beaucoup de temps. » Onze ans plus tard, Betsy Sodaro en reste encore pantoise : « Je ne savais même pas qu’un singe pouvait tenir un paquet de cartes dans ses mains… » 

La Nuit au Musée 3 (2015)

Le travail de Tom avec Crystal ne se restreint pas à lui faire faire de nouvelles prouesses. Il doit également guider les acteurs pour les aider à cohabiter avec le capucin, que la caméra tourne ou non. « Les gens ont tendance à vouloir lui sauter dessus parce qu’elle est tellement mignonne, explique David Milchard. Tom m’a conseillé de me comporter le plus normalement du monde. En faisant ça, Crystal a fini par vouloir s’asseoir sur mes genoux ou sur mon épaule. » Betsy Sodaro se souvient précisément d’un autre conseil, à destination des comédiennes : ne pas approcher le dresseur de trop près lorsque Crystal est en chaleur : « Sije m’approchais de Tom pour le prendre dans les bras, il me disait : ‟Non non, pas aujourd’hui. Crystal est un peu jalouseˮ » 

Parmi les célébrités ayant donné la réplique au capucin, Ben Stiller est celui pour lequel Tom Gunderson ne tarit pas d’éloges : « Ben était phénoménal. Il n’avait pas peur d’elle mais il la respectait et cherchait vraiment à savoir comment réagir avec elle. » Le dresseur garde toutefois un souvenir amer d’une scène de La Nuit au musée où Crystal mord le nez de l’acteur. Tom Gunderson tire fierté du fait de n’avoir connu aucune blessure en trente ans de carrière, que ce soit pour ses animaux ou les acteurs qui se sont retrouvés face à eux. Ses assurances, et une répétition de la scène sur son propre appendice nasal, n’ont pourtant pas convaincu la production : Crystal a finalement planté ses dents dans une prothèse en kevlar recouvrant le nez de Ben Stiller. « Ben a un nez magnifique. On n’allait pas l’amocher, je le jure !» 

Crystal coupe les Who 
Des ratés, Crystal en a pourtant connu ; comme toute star qui se respecte. Le plus cuisant a été celui d’Animal Practice. Le singe y incarnait Rizzo, assistant officieux d’un vétérinaire new-yorkais misanthrope. « Dans Les Simpson, et bien avant qu’Animal Practice ne voie le jour, il y avait une blague sur une série fictive avec un singe médecin, se souvient Betsy Sodaro. Quand je parlais d’Animal Practice à mes amis, j’étais contente de leur dire que je jouais dans une blague des Simpson !» La série devait être la nouvelle comédie phare de la grille de NBC pour la rentrée 2012. Les dirigeants de la chaîne avaient même fait de la présence du capucin, « payé » 12 000 dollars par épisode selon New York Magazine, le principal argument pour convaincre les annonceurs. Malgré l’implication totale de Crystal et de Tom Gunderson, l’expérience est éreintée par la critique. Elle ne dure que le temps de six épisodes, faute d’audience. Le premier épisode, censée succéder à la cérémonie de clôture des JO de Londres, augurait du pire. « NBC a interrompu les Who pour diffuser le pilote, rappelle Betsy Sodaro. Les téléspectateurs étaient furieux !On s’est dit que l’on partait du mauvais pied… » 

Very Bad Trip 2 (2011)

Un an auparavant, c’est le rôle de Crystal dans Very Bad Trip 2, celui d’un singe jouant les mules pour le compte de dealers avec la clope au bec, qui avait suscité la controverse. Tout est parti d’une déclaration du réalisateur Todd Philipps, s’inquiétant d’avoir rendu Crystal accro à la nicotine. « Je ne sais pas pourquoi des gens l’ont pris au sérieux, s’interroge Tom Gunderson. Dans le film, lorsque vous voyez le rougeoiement de la cigarette et de la fumée, ce sont des effets visuels. J’ai seulement appris à Crystal à utiliser son pouce pour donner un coup à un briquet BIC. La flamme a été ajoutée en post-production. Même les cigarettes qu’elle manipule sont fausses. » 

Le dresseur a récemment remarqué le nombre croissant de gens venus le voir pour s’enquérir du bon traitement du capucin. La question, partant d’un bon sentiment, a pour don de l’agacer. Lui considère Crystal « comme un membre de sa famille » – elle passe ses nuits dans le lit de Tom et de sa compagne – et dit lui accorder tout le « monkey time» nécessaire à une camarade de jeu, une femelle capucin nommée Squirt. Quand cette dernière n’est pas là, Crystal peut passer des heures à résoudre un puzzle pour accéder à la noix ou à la myrtille tant convoitée. Le prélude d’une retraite bien méritée ? Elle n’est pas encore à l’ordre du jour. « En captivité, les singes capucins ont une espérance de vie d’environ 40 à 50 ans. Certains atteignent presque 60 ans, souligne Tom Gunderson. Crystal et moi devrions pouvoir prendre notre retraite à peu près au même moment. On pourra passer nos vieux jours ensemble, sur une île tropicale, à siroter des daïquiris à la banane. Et c’est elle qui paiera sa tournée !»

Tous propos recueillis par V.G. Article paru dans Sofilm n°96.