LES 2 ALFRED de Bruno Podalydès
Les frères Podalydès embarquent une Sandrine Kiberlain géniale en « tueuse » du management dans cette comédie digitale aux rouages grinçants. Un grand survival, en salles le 16 juin.
Alexandre, cinquantenaire sans emploi et père de deux enfants, est à la reconquête de sa femme sous-marinière. Le jour de son entretien d’embauche chez The Box, il rencontre par hasard Arcimboldo, ange gardien tombé du ciel, « entrepreneur de lui-même », sorte de messager de l’ubérisation qui cumule mille petits boulots, à la façon d’un acrobate agile et astucieux. Le film est un shoot d’humour continu, une satire hilarante de notre société contemporaine. L’intrigue se développe autour d’une start-up aménagée en open space, pimpée d’un trampoline, d’une fontaine de bonbons et de bacs potagers. Chaque recoin du film est doté de sa technologie futuriste et déshumanisante : une voiture autonome à la reconnaissance faciale douteuse, des soucoupes volantes convoyeuses de colis en tous genres, une mini-poussette téléguidée pour téléphone intelligent, une clope électronique aux dimensions prodigieuses, etc. Tous ces objets, s’ils n’existent pas déjà dans le monde réel, sont en voie de se populariser. Notre société covidienne en cela a presque galopé au-devant du film, notamment concernant les outils en distanciel.
Mais ce qu’il y a de particulièrement touchant et d’audacieux dans Les 2 Alfred, c’est la façon dont Bruno Podalydès traite la question de la ringardise d’une génération de parents dépassée par les avancées technologiques. Conscient du potentiel un poil pathétique de son sujet, il en exhume avec une grande sincérité toute la tendresse possible, avec beaucoup d’autodérision. Il expose en miroir la violence d’une start-up aux préceptes tyranniques (« No child ! ») et aux anglicismes pédants, surconnectée mais déconnectée des questions humaines les plus élémentaires. La tendance ridicule s’inverse largement en faveur des quinquas, à mesure que se déploie la représentation goguenarde du jeune chef d’entreprise aux acronymes pompeux.
Le Ventouseur et la glaviole
L’aîné Podalydès s’amuse énormément à la lisière de l’anticipation par le biais d’une mise en scène réaliste mais fantaisiste à l’extrême, au service d’un humour plein de finesse, répétitif mais jamais harassant. Les plus assidus de son cinéma apprécieront aussi toutes sortes d’échos à sa filmographie. Ainsi, Michel Vuillermoz en banquier est-il encore un peu le fabuleux directeur des pompes funèbres d’Adieu Berthe, de la même façon que Jean-Noël Brouté – dit « le Ventouseur » – ne pourra jamais tout à fait quitter le Sainclair du Mystère de la chambre jaune… Et quand le sous-marin refait surface, on a une pensée émue pour Nono, de Liberté-Oléron. Sans oublier cette glaviole – objet métallique à la croisée du fantasmagorique et de la mécanique, sur lequel on trébuche dans les films de Podalydès –, tant attendue et finalement acclamée par les foules à l’occasion d’un surréaliste combat de drones médiéval. La voilà généreusement récompensée de ses nombreuses apparitions anonymes, en plus de 20 années d’une filmographie aussi récréative qu’humaniste. Julie Mengelle