Partir un jour d’Amélie Bonnin
Par Lena Haque
César du meilleur court-métrage de fiction en 2023 pour son récit d’un retour au pays natal, Amélie Bonnin prend le même titre, la même histoire et recommence pour Partir un jour, version longue. On y retrouve aussi les mêmes comédiens – Bastien Bouillon et Juliette Armanet, qui tient ici son premier grand rôle –, ce qui ne l’empêche pas de marquer une différence notable : dans le long, les trajectoires sont inversées. Cette fois-ci, c’est Juliette Armanet, alias Cécile, qui a plaqué le Loir et Cher pour monter à la capitale et se lancer dans la haute gastronomie. Le temps d’un week-end chez ses parents, elle renoue avec son milieu d’origine, et surtout, avec son amour de jeunesse, Raphaël, un garagiste incarné par Bastien Bouillon donc, décoloré pour l’occasion. Il arrive de regretter que certains courts-métrages ne le soient pas restés. Avec Partir un jour, c’est tout l’inverse, on en redemande. Amélie Bonnin déploie son histoire avec beaucoup de tendresse, ce qu’il faut d’humour, et, sans forcer, réussit à lui insuffler une émotion d’autant plus grande. Et pour trouver ce juste milieu entre pudeur et intensité, la réalisatrice tient son arme secrète surprenante : la chanson française.
La vie façon karaoké
Attention : Partir un jour n’est pas vraiment une comédie musicale, et c’est la réalisatrice en personne qui le dit. Si le film lui emprunte le langage de la chanson, il ne propose en réalité aucun morceau original, mais des classiques de la variété française revisités, avec lesquels la réalisatrice et une bonne partie de son public ont grandi. Ici, pas de numéro dansés éclatants ; la mise en scène reste sobre, et les chansons ne sont là pour exprimer ce que les personnages peinent à se dire, le temps d’un couplet fredonné presque en douce. C’est parfois drôle et décalé, comme lorsque les deux prétendants de l’héroïne entament un combat de coq sur le dancefloor sur Cette soirée là de Yannick ; parfois carrément poignant, lorsque le père de Cécile (François Rollin), qui refuse obstinément la retraite malgré un trois infarctus, reprend Mourir sur scène de Dalida, dans la cuisine de son relais routier. Amélie Bonnin dépoussière avec une habileté épatante nos tubes de fin de soirée et leur offre une nouvelle vie, dans un mélange de kitsch et de nostalgie.
Macédoine et bleus aux coeurs
Ce recours aux chansons de différentes générations se veut rassembleur, et permet aussi à Amélie Bonnin de nous entraîner dans la danse. Si le spectre du transfuge de classe plane, Amélie Bonnin évite les clichés habituels sur la province et ses petits bleds. Elle nous parle même de tout un tas d’autres choses : des relations père-fille, de passion, des grossesses imprévues, de l’art du compromis et puis, surtout, du plaisir coupable de se demander ce qu’aurait été notre vie si on avait fait des choix différents. Outre ces thèmes qui vont bien ensemble, on retiendra surtout l’alchimie électrique entre Juliette Armanet et Bastien Bouillon, sur une moto, à la patinoire ou à la buvette du coin, et les seconds rôles lumineux, Dominique Blanc en mère fantasque, Amandine Deswames qui accueille l’amour de jeunesse de son mari avec toute la délicatesse du monde. En somme, Partir un jour serre le cœur et donne des envies de karaoké entre copains.

Partir un jour, actuellement en salles.