The Phœnician Scheme de Wes Anderson

Crashs d’avions, complots économiques, mises à mort. Non, ce n’est pas le programme du nouveau Succession mais bien du dernier Wes Anderson, en compétition officielle à Cannes. Quand une histoire d’homme d’affaires aventurier et retors, en quête de réconciliation avec sa fille religieuse, permet au cinéaste le plus propret d’Hollywood d’envoyer valdinguer ses habitudes. Avec mesure, bien entendu. Autrement, Wes ne serait plus vraiment Anderson. Alors, décollage réussi ou accident industriel ? Par Benjamin Cataliotti

Wes, Wes, qu’est-ce qu’il se passe dans le monde codifié de Wes Anderson ? À force de multiplier les œuvres maîtrisées au poil de Bill Murray près, les contempteurs du cinéaste ont fini par reprocher au réalisateur de Moonrise Kingdom de construire un univers ultra contrôlé et mortifère. Aucune trace de vie dans les films-maisons de poupée d’Anderson ? Ça tombe bien, The Phœnician Scheme est de loin son plus macabre. Tout y meurt, tout s’y cogne et s’y frappe. À croire que les personnages eux-mêmes ont décidé de lever une mutinerie : ils tapent contre les murs et se balancent des vases à la tête. Anderson aurait-il décidé de faire imploser sa planète ? Dès les premières secondes et ce plan depuis l’intérieur d’un avion, quelque chose part en poussière. Littéralement : dans le dos du héros, un figurant, assis sur un siège inclinable, explose soudain, son tronc restant immobile sur le siège de l’avion soudain éventré. Éberlué, Benicio Del Toro ouvre grand ses yeux de frayeur. Un peu comme si une grenade explosait aux pieds de la famille Tenenbaum ou qu’un monstre marin déchiquetait brusquement le capitaine Zissou. De fait, le film précédent d’Anderson avait déjà la mort en travers de la gorge. Derrière ses décors de western cartoonesque, Asteroid City renfermait le cœur d’un homme déboussolé par le décès de son épouse. Il fallait un échange en coulisses entre le comédien incarnant le veuf et l’actrice censée interpréter la disparue pour qu’enfin l’émotion le libère. À la revenante d’Asteroid City, The Phœnician Scheme répond donc par un survivant qui, lui, ne cesse de faire des sauts au purgatoire. « Veux-tu cesser de massassiner ? » enjoint-il à son nemesis – à moins que ce ne soit au cinéaste qu’il s’adresse ?

The Brutalist

Il faut dire que le businessman Zsa-Zsa Korda a de quoi se faire des ennemis. Personnage parmi les plus brutaux de la filmographie d’Anderson, cousin paranoïaque de Royal Tenenbaum ; le millionnaires, à force de s’enrichir par les moyens les plus vils, a fini par se créer une liste d’ennemis plus longue qu’un monologue de Trump. Sa rage de vivre bouscule le cadre propret du cinéaste, des flèches enflammées traversant régulièrement des décors qu’on dirait bâtis pour être enfoncés par la silhouette massive de Benicio Del Toro. Lequel, plutôt que de déjouer les plans fomentés contre lui, se contente surtout d’y survivre, telle une montagne qui, fracassée, tiendrait debout, jusqu’au prochain éboulement. Un vrai massacre, donc, qui reste évidemment relatif : on se tâche, mais dans des costumes impeccables – on n’est pas chez Ari Aster. Mais un massacre quand même, et qui permet à Zsa-Zsa Korda de se payer des incursions dans un au-delà où les pythies ressemblent à la fille de Serge Gainsbourg et où Dieu est incarné par le seul Seigneur valable sur cette planète ; Bill Murray, donc. Accompagné de sa fille, Korda peut enfin s’interroger sur ses actes et chercher, on ne se refait pas, le spectre de sa défunte femme. Pour ce qui est de l’obscur schéma phœnicien financier dont parle le titre, on avoue n’avoir pas tout compris. Mais ça n’est pas bien grave. Parmi la brume, on aura décelé Willem Dafoe coiffé d’une perruque d’archange, Tom Hanks basketteur enchaînant les paniers à trois points et même une authentique mante religieuse. Si ce bestiaire ne suffit pas à bouleverser votre conception des châteaux andersoniens, c’est que vraiment, le pays d’Anderson ne sera jamais votre royaume.


The Phœnician Scheme, en salles le 28 mai.