Antonin Peretjatko : « La pureté du sang, je ne comprends pas ce que ça veut dire »
Délicieusement loufoque, Vade Retro d’Antonin Peretjatko revisite le film de vampires sur le mode rigolard. Le pitch ? Pour sauver sa lignée, un saigneur effarouché par la gent féminine s’en va chercher une épouse de sang pur sur une île où le métissage fait loi. Un cocktail de bouffonnerie et de giclées de sang qui lorgne tant sur le burlesque à la Mel Brooks que sur le grand-guignol dans la veine de Tobe Hooper. À quelques heures de s’envoler pour Kiev, le cinéaste, mulet réglementaire et bagouze aux doigts, nous parle de Dracula, Scooby-Doo et de soupe aux croûtons.
Propos recueillis par Boris Szames.
Vade Retro débute à la manière de La fille du 14 juillet et de Voyage au bord de la guerre : des voyageurs embarquent vers une destination qu’ils n’atteindront jamais.
Je n’aurais pas réalisé Vade Retro si je n’avais pas fait Voyage au bord de la guerre. Il y avait la volonté de relâcher une forme de tension après avoir filmé un documentaire dans un pays en guerre. Quand on revient dans un territoire en paix, ça donne envie de dépasser les normes et de repousser les limites du gore, parce qu’au fond, c’est pas du sang, c’est du rouge, comme dit Godard. Le grand guignol permet de relativiser cette violence-là. D’une manière générale, les « comédies de guerre », comme M*A*S*H et Le Dictateur, tirent aussi vers la farce.
Il s’agit de votre première incursion dans le cinéma de genre. Qu’est-ce qui vous fascine dans la figure du vampire ?
La plupart des films de vampires reposent sur le même scénario de départ : un bateau s’échoue quelque part et libère le vampire. Un médecin cartésien soigne une jeune vierge qui s’est fait mordre. Et à la fin, les vampires se répandent partout sur la planète à cause d’une petite connerie. La comédie donne le moyen de tordre le cou aux codes du cinéma de genre sur un mode ludique, comme si on changeait un peu les règles du jeu sans les trahir tout à fait. Le vampire a un rapport au monde assez particulier. Avoir un pied dans la tombe lui confère une certaine distance avec la réalité. Ce décalage permet de pointer les aberrations du vivant, comme l’idée absurde d’une jeunesse éternelle. Le sang coule aussi dans l’Histoire de France. Pensez à La Marseillaise (« qu’un sang impur abreuve nos sillons ») ou au scandale du sang contaminé…La comédie de genre, et a fortiori le film de vampires, me permet aussi d’aborder le retour en force du religieux dans la société, ce qui m’a d’ailleurs fermé des portes pendant le tournage. Mon film n’est pas blasphématoire pour autant. Je ne vais pas aussi loin qu’un Buñuel !
Vous êtes-vous nourri de classiques du film de vampires avant de vous atteler à l’écriture ?
Pas vraiment. Le projet était assez intimidant parce que les spécialistes du genre ont tendance à se montrer intransigeants. J’ai surtout vu des classiques qui font extrêmement peur comme Piranhas de Joe Dante et Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Ces films ont confirmé mon intuition de vouloir aller dans l’outrance. Je me suis aussi inspiré d’une exposition sur les fantômes d’Asie au musée du Quai Branly. En termes de genre, l’inventivité du cinéma japonais m’a scotché.
La première mouture du scénario se déroulait au Japon. Finalement, Vade Retro a été tourné à La Réunion. Y a-t-il eu un travail de réécriture conséquent ?
L’idée originelle n’a pas changé : un vampire doit trouver l’âme-sœur dans un pays qui lui est étranger, mais sa famille ne l’approuve pas. La première version faisait davantage la part belle à l’au-delà, notamment à travers la figure des yōkai, ces créatures surnaturelles du folklore nippon. La problématique du sang pur a beaucoup résonné pendant la préparation au Japon. Pendant le casting, il m’est souvent arrivé d’entendre des actrices me parler de métissage dans leurs familles. Moi, j’ai des grands-parents polonais et ukrainiens. Est-ce que ça fait de moi un métisse ? La pureté du sang, je ne comprends pas ce que ça veut dire.

Le film marque vos retrouvailles avec Estéban, neuf ans après La Loi de la Jungle. C’était une évidence ?
Je me suis tourné assez vite vers lui. On avait tourné ensemble un court-métrage de zombies que m’avait commandé France 3. Une des grandes réussites du film, et qui passe pourtant inaperçue, c’est de l’avoir fait jouer en jupe de A à Z. Ça passe comme une lettre à la poste. Pascal Tagnati était quant à lui présent depuis le début. Je lui avais offert un rôle de traducteur corse capable de parler japonais. Ça aurait probablement fait rire les Français. Selon moi, il y a des similarités entre les deux langues en termes de musicalité. J’ai aussi ramené Pascal Légitimus de la Loi de la Jungle. Il avait joué un vampire dans une parodie des Inconnus, Rap-tout. Je ne sais pas si c’est forcément un bon souvenir pour lui. Il m’a raconté que ça lui avait valu un contrôle fiscal à l’époque.
Et Arielle Dombasle ? On l’associe d’ordinaire à des personnages éthérés…
Lors de notre première rencontre, je lui ai dit : « Vous êtes comme une fée sortie d’un film de Jacques Demy ou d’Éric Rohmer. J’aimerais vous proposer de jouer l’inverse : une sorcière ! » J’avais un peu d’appréhension sur sa capacité à interpréter un personnage méchant. Finalement, elle a explosé les potards.
Contrairement au Dracula de Francis Ford Coppola et aux films de la Hammer, vous n’érotisez ni les vampires ni leurs victimes. Pourquoi ?
Un festival américain a été refroidi par l’humour masculin du film. Ça m’a surpris, parce que justement les personnages ne sont pas érotisés. Il n’y a pas non plus de femme-objet. J’ai préféré l’érotisme fake en montrant des faux seins par exemple. Ça m’a surtout amusé d’imaginer un vampire trembler comme une feuille en présence d’une femme. Des exploitants m’ont aussi reproché mes blagues sur le consentement. Oui, des vampires alertent leur fils là-dessus, alors qu’ils mordent sans demander l’autorisation à leurs victimes. Je me moque de leur hypocrisie. Le film n’est pas misogyne. Au contraire, il tourne en dérision les gens accrochés à leurs « isme » : cartésianisme, islamisme, catholicisme, féminisme, masculinisme… Je mélange tout ça et je vois ce qu’il en ressort. Peut-être que le plus intéressant au final, c’est ce qu’il y a au centre de la soupière et pas les vieux croûtons sur les bords…
Le film regorge de clins d’œil à la BD, à commencer par la cheffe de la clinique nommée docteur Franquin ou ce personnage vêtu comme Mandrake le magicien…Effectivement. Il y a aussi ce côté Scooby-Doo où un personnage est démasqué à la fin. Je reprends les grosses ficelles qui me plaisent dans le cartoon. On retrouve cette dimension-là chez Mel Brooks, l’une de mes inspirations. Le film rend aussi hommage à la BD Philémon de Fred, plus qu’un livre de chevet pour moi, avec cette blague sur les plantes qu’il faut aller coucher, et à l’esprit irrévérencieux de Charlie Hebdo.

Vous taquinez aussi la théorie du genre. C’est un sujet qui vous travaille ?
Je ne sais pas trop quoi en penser. Du moins, mon avis sur la question change souvent. J’y suis confronté par l’intermédiaire de mes enfants. Quand ma fille me dit qu’elle n’a pas envie d’aimer le rose parce qu’à l’école, on l’y oblige, ça me fait réfléchir. Des animateurs apprennent aux filles à ne pas dire des gros mots parce que c’est le privilège des garçons. C’est hallucinant ! Dans le film, le personnage de Pascal Légitimus ne voit pas de grande différence entre les sexes. Ce que j’aime bien, justement, ce sont ces zones poreuses, là où ça bouge.
Le film se moque aussi de ces centaines d’hommes et de femmes cryogénisés en attendant d’être ramenés à la vie.
Les plus riches se font intégralement cryogéniser. Les plus « pauvres », que la tête. Peu importe : ces gens-là se cryogénisent trop tard. Soit parce qu’ils sont vieux, soit parce qu’ils sont sur le point de mourir. Se faire cryogéniser à 30 ans, alors que la science ne maîtrise pas encore la « décongélation », c’est une sorte de pari de Pascal. Nous, on n’avait pas assez d’argent pour des cuves, alors on s’est rabattus sur des frigos. Du reste, j’ai du mal à croire à cette course à l’immortalité dans laquelle se sont lancés Elon Musk et les géants de la tech. Et après ? On peut changer les pièces d’une voiture. Mais une fois qu’on a remplacé les roues, le moteur et la boîte de vitesses, il faut se rendre à l’évidence : la bagnole est morte ! Il y a aussi cette théorie complotiste farfelue sur les cliniques de rajeunissement qui proposent du sang d’enfants et d’adolescents placés en orphelinat. L’idée me plaisait pour en faire un film. On la retrouve dans le Dracula de Radu Jude. L’un a copié sur l’autre, c’est pas possible !
Comme le docteur Franquin, vous croyez moins au surnaturel qu’au surréalisme ?
Le film traite plus du surréalisme que du surnaturel. « La vie est un pictogramme qu’il faut déchiffrer », comme dit le docteur Franquin. Il y a des accointances entre le surréalisme et le burlesque. Du moins, Buñuel en discernait. C’est une manière étrange de revisiter le monde qui est lui aussi incompréhensible. Je n’ai jamais été confronté au surnaturel en revanche. Peut-être parce que je n’y crois pas. Les fantômes me ramènent aux peurs de l’enfance. Je crois plus au cinéma, en tout cas au surréalisme.
Vade Retro, en salles le 31 décembre