143 RUE DU DESERT de Hassen Ferhani
Au beau milieu du Sahara, Malika tient un petit café où elle accueille routiers et voyageurs. Un parfait poste d’observation de la société algérienne pour le nouveau film attentif et joueur d’Hassen Ferhani. En salles le 16 juin.
Elle sert du thé, parfois une omelette, guère davantage. Elle est comme l’arbre devant sa maison : sans raison de pousser là mais devenu un repère enraciné. À l’intérieur de ce refuge de 20 m², Hassen Ferhani écoute les dialogues avec des plans fixes. Le dispositif est léger. Accompagné d’un ingénieur du son, il cadre. Autour de cette baraque, on ne voit que le Sahara dont le silence aride est régulièrement fendu par le passage d’un camion. À l’intérieur, une table et deux chaises qui permettent la rencontre de deux solitudes. Hassen Ferhani observe depuis plusieurs films la société algérienne par des lieux, comme l’hôtel dans Afric Hotel (2013), ou l’abattoir d’Alger, cœur battant de Dans ma tête un rond-point (2015). Il y filme déjà par des portes ou des fenêtres ouvertes, créant un cadre dans le cadre propice à la mise en récit. On peut en effet imaginer beaucoup d’histoires en regardant ces étendues désertiques, où tout voyageur solitaire peut passer pour aventurier ou renégat. Malika donne un sens à ce va-et-vient. Dans sa cabine solitaire, elle projette un imaginaire de western (« Voilà les Indiens et les Apaches ») dont elle tiendrait le saloon, comme une Joan Crawford algérienne. Surtout, elle accueille les voyageurs et recueille leurs paroles. Il y a tout autant de récits fantasmés au-dehors que de vies racontées au-dedans. Pour le réalisateur, c’est un réservoir à personnages. Lui qui, dès Les Baies d’Alger (2006), écoutait la voix des Algériens. Progressivement, le réel ensablé des paroles récoltées laisse place à l’onirisme et au jeu. Chawki Amari, écrivain et compagnon de route d’Hassen Ferhani, transforme l’une des fenêtres en parloir de prison où Malika viendrait lui rendre visite. Cet art du détournement est instantanément juste et drôle.
Tea time
En s’éloignant de la capitale, le film ne se place pas à la marge du monde. Cet endroit n’a rien de périphérique, il est le centre d’une route reliant deux extrémités, Alger et Tamanrasset. Le 143 rue du Désert est à la Nationale 1 ce que le Bagdad Café est à la Route 66, chaque lieu abritant une vigie solitaire. Lorsque Maya, motarde polonaise, s’arrête chez Malika, elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler Jasmin, Allemande débarquée dans le motel de Brenda. Toutes sont des amazones sur des territoires qui semblent n’appartenir qu’à une cartographie masculine. Malika en a fait les frais et on suppose qu’il n’a pas été facile de s’y imposer. Aujourd’hui, si sa bonhommie tranche avec le caractère inhospitalier du paysage, elle n’est pas toujours de mise. Quand un imam souligne l’incongruité de l’habitat et de l’activité de Malika par quelques questions, elle l’éconduit rapidement. Celle qui « n’a que Dieu » ne supporte pas ces interrogations suspicieuses. « Gardienne du vide », elle ne tient pas particulièrement à combler les trous de son histoire. Lors de l’une des dernières rencontres, la conversation tourne au jeu de dupes. Soupçonnant le mensonge de son interlocuteur, Malika s’invente une histoire de toutes pièces. Une réplique de Dans ma tête un rond-point se rappelle à nous : l’un des personnages assène à plusieurs reprises à l’issue d’un conte « c’est une histoire vraie ». Certaines de celles livrées à Malika le sont assurément, d’autres non, mais la vérité importe moins que le récit. Devant ses yeux, une nationale, dans ses oreilles, les mots des voyageurs. Seront-ils encore nombreux à parvenir jusqu’à elle ? Rue du Désert, on a construit une station-service. Alors qu’elle s’illumine pour la première fois, le film s’éteint.