DAYS de Tsai Ming-liang

Avec Days, Tsai Ming-liang brouille les pistes entre cinéma et art contemporain.  Et nous invite à une méditation immersive en suivant l’errance citadine de Kang, un homme en quête d’affection.

Days est un film de rencontres. Il y a d’abord celle de Tsai Ming-liang avec son acteur fétiche : Lee Kang-sheng, devenu son alter égo à l’écran depuis Les Rebelles du dieu néon en 1989, son premier long métrage. Ce dernier a construit, par sa démarche lente et son visage mutique, une partie de son formalisme esthétique. Puis il y a celle du cinéaste avec Anong Houngheuangsy, repéré en 2018 alors qu’il vendait des nouilles sur un marché de Bangkok. Les deux acteurs se rencontrent à leur tour, lors d’un interlude de tendresse dans l’anonymat de la ville. Le deal entre eux résume à lui seul le fil narratif ténu du film : Kang souffre d’une maladie inconnue et doit se procurer des traitements dans la ville, Non lui offre massage et réconfort.

« Care manifesto »
Dans cette rencontre qui fait le cœur battant de Days, il faut accepter autre chose : le geste et l’attention à l’autre se substituent à la parole. Le générique de début le précise : « L’absence de sous-titres est volontaire. » Et pour cause, le film est tout juste parsemé de quelques lignes de dialogues, marmonnées et sans importance. Tsai, qui a pensé le film sans scénario, comme une installation de musée, garde son rythme lent composé de plans séquences fixes de plusieurs minutes. « Pour moi, ce qui est primordial c’est l’image. C’est la forme qui parle bien plus que le contenu. Je veux mobiliser le regard, les sens, ne pas les parasiter avec trop de paroles », assume-t-il. Dans une scène de plus de quinze minutes, composée de trois plans, Non, dans un appartement crasseux, prend le temps de cuisiner un repas. L’acteur allume un feu, rince ses ingrédients minutieusement, coupe des légumes, prépare son riz dans une feuille de pandan et vérifie ses cuissons, jusqu’à la dégustation. Dans d’autres séquences, principalement d’intérieur, avec pour arrière-fond sonore des klaxons et des accélérations de mobylettes, la caméra fixe filme intensément le corps et la beauté des mouvements, qu’il s’agisse d’un massage sensuel ou d’un soin de médecine traditionnelle. Tsai scrute le vieillissement de son acteur, dans la continuité d’une collaboration de douze films. Il donne à voir des images nouvelles du corps masculin, dans une défense esthétique du care, un nouveau « Care Manifesto ». Days est le moment d’une pause, d’un ralentissement, qui nous réapprend à regarder, et à faire attention à soi, à l’autre et à l’image.