Rúnar Rúnarsson : « Je ne fais pas de films, je fais du cinéma »

C’est un drame délicat à fleur de larmes, qui s’ouvre et se clôt sur un soleil mourant: avec When the Light breaks, le réalisateur Rúnar Rúnarsson poursuit une filmographie habitée par la lumière de l’Islande. Après les multi-primés Volcano, Sparrows et Echo, il livre une œuvre puissante et peuplée de non-dits, où la pudeur de la mise en scène côtoie l’intense interprétation de ses comédiennes. Rencontre. Propos recueillis par Marine Bohin

Parmi les films post-MeToo, il y a ceux qui parlent du moment même de l’agression, puis ceux qui se When the Light breaks suit la journée d’un groupe de vingtenaires, qui viennent de perdre un de leur amis. Pourquoi avoir choisi de parler de deuil?

Tout ce que j’écris est toujours basé sur ma propre expérience, sur ce que je vois en le mélangeant à des éléments fictionnels. Sans jamais révéler exactement la part de fiction, afin de n’exposer personne. À chaque fois que j’ai perdu quelqu’un, ce fut horrible… et dans le même temps j’expérimentais une grande beauté. Tout a plus d’une facette. Chaque décès a aussi été l’occasion d’une réflexion sur moi-même. J’ai commencé à faire des films à 16 ans, je voulais faire des films très politiques, pour changer le monde. Mais les gens que je rencontrais en montrant mes films avaient les mêmes points de vues que moi, donc je ne changeais rien du tout! Et puis j’ai réalisé un court appelé The Last Farm (ndlr en 2006) une histoire de vieilles personnes en milieu rural. Et après chaque projection, des gens venaient me voir pour me dire que le film leur avait donné envie de revoir leur famille. Je continue à me voir comme un cinéaste politique, je continue d’espérer que mon cinéma fasse une différence. Je ne guéris pas le cancer mais je pense que les films que je fais, qu’ils mettent en scène des personnes âgés ou des jeunes de 20 ans, peuvent avoir une sorte d’effet papillon. C’est la force du cinéma, il nous connecte.

Le film repose sur des non-dits. À quel point est-ce un défi de filmer ce qui n’est pas palpable ?

Le cinéma est riche de trois outils narratifs : les dialogues qui sont écrits, le visuel et l’audio… et il y a tellement de choses que vous pouvez dire avec le son, ou plutôt avec l’absence de son. Avec une expression capturée du bon côté avec la bonne lentille et la bonne lumière. Grâce à tout cela, vous pouvez accomplir beaucoup. C’est ça, le cinéma, c’est précisément ce que j’essaie de faire : je ne fais pas des films, je fais du cinéma. Du moins je l’espère !

© Jour2fête

La lumière est centrale dans le film, nous rappelant à chaque plan que sans lumière il n’y a pas de vie et qu’il n’y a pas de cinéma non plus ?


De différentes façons, nous avons fait beaucoup de préparations, plus sans doutes que sur la plupart des films de cette envergure. Nous avons fait des repérages à différents moments de la journée, avec différentes météos. Il y a toujours des accidents négatifs qui surgissent sur un tournage mais si vous êtes bien préparés, vous pouvez également accueillir le positif inattendu. Nous avons dû être très flexible pour accomplir de belles choses. Normalement il règne un grand calme sur mes plateaux. Là nous avons dû être capables d’agir et de bouger un peu plus vite !

L’un des très beaux sujets du film est la relation entre les deux jeunes femmes, qui devraient être ennemies au vu des circonstances de leur rencontre, mais qui finalement deviennent alliées…


L’une des choses dont j’ai été sûre dès la première version du scénario, c’est que malgré le grand nombre de thèmes abordés, c’était surtout un film sur la sororité. Les femmes dans les films sont toujours dépeintes comme étant les unes contre les autres. Les hommes peuvent être montrés comme des personnages combatifs mais les femmes, elles, seront montrées comme se battant entre elles, ce qui est faux. Et je suis fatigué de cela. J’ai le privilège d’avoir beaucoup de femmes dans ma vie, et j’essaie de travailler le plus possible avec de nombreuses femmes, comme ma productrice Heather Millard ou la chef-opératrice Sophia Olsson. La sororité implique d’être bons les uns avec les autres, de se soutenir, d’être humaniste. En comparaison, la fraternité est une valeur qui se manifeste de façon tellement plus primaire !

When the Light breaks, en salles le 19 février.