Depuis sa sortie aux États-Unis, la hype de Call Me by Your Name n’a pas cessé de monter, et Luca Guadagnino se frotte déjà les mains pour la saison des prix. Il a raison. Son adaptation du scénario de James Ivory est une réussite éblouissante.
« Love my way, it’s a new road. I follow where my mind goes, so swallow all your tears, my love and put on your new face. You can never win or lose, if you don’t run the race » (The Psychedelic Furs, « Love My Way »)
Face caméra, en gros plan, un adolescent de 17 ans. Aucune expression faciale d’abord sur son visage de pré-adulte. Juste une sorte de stupeur grave. Puis, l’accident qui menaçait d’arriver survient. Petite touche par petite touche. Sanglot après sanglot ses traits se fendillent jusqu’à dessiner un autre lui. Un adulte accouché dans la beauté du monde. Que s’est-il passé ? Son père pose, bienveillant : « Tu as vécu une très belle amitié. Peut-être même plus qu’une amitié. Et je t’envie pour cela… »
Ici un film brûlant. Une sorte de manifeste politique pour la sensualité, la tolérance et l'esthétisme. Ici deux heures de vergers à l’italienne, de tissus aux motifs délicatement plissés, de statues sauvées des eaux, et de danses nocturnes au bord de la transe où les corps se consument comme des feux follets. L’histoire ? Elle raconte la naissance, le point de cristallisation, mais aussi toutes les conséquences de l’amour. Et que tout cela est beau car cela échappe à la raison. Pas une mince affaire… Surtout quand on sait que cette histoire est adaptée d’un livre récent d'André Aciman par James Ivory. Et alors ? Ce postulat de départ pourrait apparaître à l’écran affreusement académique, voire désespérément frivole. Il n’en est rien. Derrière la caméra de l’Italien Luca Guadagnino (
A Bigger Splash) cela crépite, emporte et rappelle même parfois autant la comédie romantique mélancolique à la McCarey que l'esprit libertaire décadent d'un Bertolucci. C’est l’été 1983, dans la campagne italienne de Lombardie. Elio, adolescent bien né, brûle en silence de désir pour Oliver, étudiant américain. Dans le cadre de ses études en archéologie, ce dernier est venu passer six semaines dans la propriété de famille des parents d’Elio. Partant de ce point de départ on ne peut plus plan-plan, se met pourtant en place une mécanique patiente. Quasiment une expérience scientifique qui décompose l’une après l’autre les différentes étapes de l’érotisme. Comment réagissent les corps et les sentiments quand ils sont exposés à trop de soleil, d’intentions raffinées, de fruits murs et de grande musique au piano ? Réponse : ils implosent.
Sans entraves
Mais revenons à nos rats de laboratoire. Elio (Thimotée Chalamet) est un jeune éphèbe pasolinien, beau et sauvage, là où Oliver (Arnie Hammer) dégage un swag viril et old school à la Steve McQueen. Forcément, quand la caméra fait le point sur eux lors d’une partie de volley ou en train de fumer une cigarette, tout le monde s’extasie sur ces des demi-dieux, poussés à leur point de rayonnement ultime par leur entourage. Les parents d’Elio, universitaires, aussi protecteurs de leur fils unique qu’ils sont tolérants et parfaitement éduqués aux grands philosophes. La brunette Marzia (Esther Garrel décidément toujours impeccable) éprise d’Elio. Personne n’oppose la moindre résistance à l’histoire s’amorçant entre Oliver et Elio. D’ailleurs qu’on ne s’y trompe pas : l’homosexualité est tout sauf un enjeu ici. Elle ne l’était pas non plus dans Moonlight (film sentimental), La Vie d’Adèle (plus méchamment social que tous les Dardenne et Ken Loach réunis) ou 120 Battements par minute (meilleur film de guerre de ces dernières années). Alors, à quoi peut-on s'attendre ? À des critiques qui font la fine bouche face à un film « presque trop calibré pour les prix » ? À des créateurs de mode enchaînant les campagnes « starring Timothée Chalamet et Armie Hammer » ? On peut aussi imaginer que Call Me by Your Name rattrape par la manche l’époque pour lui remettre en tête un slogan soixante-huitard : « Vivre sans temps mort, jouir sans entraves. » Pour amorcer ce mouvement, il faudra juste danser, au bord de l’abandon, sur un hit new wave des Psychedelic Furs. – Jean-Vic Chapus
Call Me by Your Name, un film de Luca Guadagnino, avec Armie Hammer, Timothée Chalamet, Michael Stuhlbarg, Esther Garrel. En salles.