[Festival Même pas peur] : The Surfer

Par Axel Cadieux.

La 15e édition du festival Même pas peur, à Saint-Philippe, au sud de l’île de La Réunion, s’est ouverte sur une révélation. Le deuxième jour est celui de la confirmation avec The Surfer, de Lorcan Finnegan. Le cinéaste irlandais était porteur de quelques promesses depuis Vivarium, en 2019, avec Jesse Eisenberg et Imogen Poots, satire cauchemardesque du mode de vie pavillonnaire dont les affres étaient poussées à leur paroxysme. Finnegan revient le couteau entre les dents et s’empare cette fois-ci d’un nouveau motif central, complémentaire du premier : le père de famille de classe moyenne supérieur, le statut qui lui incombe et les symboles qu’on lui accole – impératif de réussite professionnelle et donc financière, procréation, protection de sa famille, virilité sûre et rassurante, etc.

Un homme en costume et aux velléités immobilières importantes revient donc sur la plage australienne de son enfance, pour y surfer avec son fils adolescent. Repoussé et humilié par un groupe déjà en place et s’étant arrogé les lieux ainsi que les vagues, il perd pied, au fil des jours, en même temps que les locaux goguenards le dépouillent de son capital : Lexus, lunettes de soleil, téléphone portable, bague et montre de famille. La réalité s’étiole tout comme les principes de mise en scène, l’approche classique étant peu à peu bousculée par les obturations, lens flare, grand angle et autres saturations sonores. 

Le schéma classique du pétage de plomb, façon Chute libre ou, dans le meilleur des cas, Chiens de paille de Peckinpah. C’est d’autant plus clair avec Nick Cage dans le rôle principal, grand adepte de vigilante movies dans lesquels un homme socialement parfaitement inséré déraille et se venge de ceux ayant ébranlé sa condition. Alors, à quand la révolte ? C’est long. L’attente, la frustration, l’ennui peut-être aussi, font partie du processus. Le personnage principal, anonyme, vogue sans défense vers un état de nature, démuni de ce qui le constituait. 

Jusqu’à l’évidence : Lorcan Finnegan, en castant Nick Cage, a façonné un leure. Une illusion. Il n’y aura pas de tentatives de subversion, ou presque ; par à-coups seulement, et avec très peu de conviction. Le geste est tout autre. C’est le chemin de traverse que le film emprunte et non la fuite en avant. En dépit de quelques péripéties pas toujours fondamentales, cette quête identitaire – un motif récurrent des films de la sélection – ne mène pas à violence mais tout droit dans l’océan. Dans la vague. Loin de tout, et surtout du rôle que l’on avait assigné à celui qui n’aspire qu’à surfer. 

Quiconque a lu Jours barbares de William Finnegan (aucun lien de parenté avec le cinéaste, mais drôle de coïncidence) sait ce que le surf peut représenter : un instant suspendu, hors du temps, en contact direct avec l’apesanteur et les étoiles. Une abstraction, permettant de se soustraire à sa condition et de toucher, pour un temps du moins, au divin. On savait Lorcan Finnegan très fort sur les high concepts ; c’était l’atout principal de Vivarium, sa singularité, mais aussi sa première limite. Avec The Surfer, on le découvre évanescent, prompt à larguer les amarres et à s’offrir une échappée. Une fugue tant existentielle que politique, que seuls certains grands savent pratiquer. Axel Cadieux