A BREAD FACTORY, part 2 de Patrick Wang

– En salles : A BREAD FACTORY, part 2 –

Patrick Wang, cinéaste indé' américain encore trop méconnu, revient avec une fresque tragi-comique en deux parties suivant les mésaventures d'un centre culturel dans une petite ville. Inventif et brillant.

 
La belle fidélité d'ED Distribution à Patrick Wang en France fait écho à ce qui continue de l'obséder : comment « faire famille », dans un sens plus large et plus profond que les liens du sang. Le premier film de Wang, In the Family, portait explicitement cet enjeu dans son titre et son sujet (la bataille d'un homme pour rester présent dans la vie du fils de son compagnon homosexuel décédé). Puis Les Secrets des autres traitait à nouveau d'un foyer devant apprendre à se réinventer, cette fois après la mort d'un des enfants. Pour A Bread Factory, Wang s'écarte du drame intimiste. Dans la forme, il se montre encore plus libre et aventureux, faisant de son film un diptyque de deux fois deux heures, laissant pour la première fois une large place à l'humour (et c'est une réussite : on rit beaucoup). Sur le fond, il propose un élargissement radical de ce que peut être une famille : une communauté réunie par un projet commun et substantiel, telle la Bread Factory du titre (un lieu dédié à la création et l'éducation artistique sous toutes ses formes) ou le journal local de la ville, Checkford.
L'art et le journalisme sont les deux forces sur lesquelles Wang compte pour faire pencher du bon côté le combat entre la démocratie et la démagogie – dont les États-Unis sont actuellement un des champs de bataille les plus critiques. Les fondatrices et gérantes de la Bread Factory depuis quarante ans, Dorothea et Greta, doivent faire face à un danger soudain et puissant : « May & Ray », un duo de stars de l'art contemporain. Sans lien avec la ville, ils la prennent d'assaut dans une blitzkrieg où leur célébrité est supposée servir de monnaie d'échange pour récupérer les subventions municipales vitales au fonctionnement de la Bread Factory. Wang moque cette menace avec mordant, en la tournant en ridicule. Dans la seconde moitié du diptyque, il fait de même vis-à-vis de la lame de fond dont May & Ray n'étaient en définitive que l'avant-garde ; la vampirisation de quartiers et de villes entières par la gentrification et le tourisme. Pour cela, il emprunte avec succès une voie inattendue : faire de la comédie musicale un vecteur non pas d'enchantement du monde, mais de la dégradation par des artifices de ce qu'il a de beau et de juste.
Valeurs actuelles
Wang n'est pas dupe de la puissance de feu de cette industrie des franchises (May & Ray sont l'application à la culture du modèle Starbucks), où tout est interchangeable et consommable au nom du profit, de l'apparence, de la marque. Les victoires sont temporaires contre ce rouleau compresseur et provoquent une guerre encore plus sale – May & Ray manœuvrent au grand jour contre la Bread Factory dans la première partie du diptyque, puis en sous-main dans la seconde. Face à ça, Wang et ses personnages n'ont d'autre choix que de rester fidèles aux pratiques et aux valeurs au cœur de leur travail. A Bread Factory multiplie, sans tomber dans la redite, les belles scènes de création artistique et journalistique : répétitions de la pièce Hécube d'Euripide, leçons de journalisme (ne pas recopier le dossier de presse !)… Wang intègre constamment à ces séquences des néophytes et des enfants, car c'est dans l'ouverture et la transmission à ces publics que se joue la bataille essentielle pour améliorer un tant soit peu le monde.
Le cinéaste applique également cette exigence d'intégrité à lui-même en construisant son récit sur la durée, partant du principe que nous sommes étrangers à Checkford. Nous devons donc prendre le temps d'apprendre à en connaître les habitants par petites touches pour se sentir vraiment « in the family ». On ressort de ces quatre heures de film avec l'impression de faire partie de cette famille fragile, mais unie, créative et démocratique. L'utopie s'invente encore au coin de la rue pour ceux qui ne lâchent jamais l'affaire. Erwan Desbois