Belladone de Alanté Kavaïté
Par Pierre Charpilloz.
Cinéaste franco-lituanienne, Alanté Kavaïté propose pour son troisième long-métrage un genre rare dans le cinéma français : le film-métaphore. Dans un futur proche, le gouvernement force tous les citoyens de plus de 75 ans à vivre dans des établissements spécialisés. Inactifs et dépendants, ils n’ont plus leur place dans la société. Mais quelque part, sur une île coupée du monde, un petit groupe de « vieux » résiste : accompagnés de la jeune Gaëlle (Nadia Tereszkiewicz), qui prend soin d’eux, ils entendent bien continuer à vivre à l’air libre. Un jour, un voilier jette l’ancre sur l’île. À son bord, un beau jeune homme (Dali Benssalah) et sa sœur, la pétillante Aline (Daphné Patakia), qui se dit médecin. Plus radicaux que Gaëlle, Aline et son frère promeuvent une vie épicurienne jusqu’au dernier souffle. Ils apportent joie et plaisir au groupe de seniors, qui, pourtant, se mettent à mourir les uns après les autres.
Vivre ou survivre
Nous plaçant du point de vue circonspect de Gaëlle, Belladone – qui tire son titre de cette plante aussi belle que mortelle – invite à se poser une question éminemment politique et d’actualité, à une époque où l’on parle beaucoup des problématiques liées au vieillissement de la population. Que faut-il faire de nos vieux ? Ou plutôt, comment bien vieillir ? À la manière d’un conte philosophique, Alanté Kavaïté nous propose trois options. La première, celle de l’État dans le film, que l’on pourrait appeler « productiviste », suggère que la vie a de l’importance tant que l’on n’est pas un poids pour la société. Rappelant les déportations qui ont marqué l’histoire et résonnent encore, hélas, avec l’actualité, elle est évidemment à écarter. Il y a ensuite la méthode « paternaliste » de Gaëlle : laisser les seniors vivre, mais les empêcher aussi de mourir. Ce qui signifie surveiller leur alimentation, veiller à ce qu’ils « ne forcent pas trop » dans leurs activités quotidiennes et prendre bien soin de leur santé. Et donc, nécessairement, brider certains de leurs désirs qui ne seraient « plus de leur âge ». Et puis, il y a la pratique « épicurienne » d’Aline : vivre intensément jusqu’au dernier souffle, profiter le plus longtemps possible, quitte à nuire à son espérance de vie.
Avec son casting rare d’actrices et d’acteurs de plus de 70 ans (notamment Miou-Miou, Alexandra Stewart, Féodor Atkine ou Patrick Chesnais) et son récit particulièrement astucieux, Belladone s’impose comme une habile fable de science-fiction qui invite à se questionner. De ces films qui engagent la discussion et provoquent le débat après la séance. Un genre souvent périlleux, car potentiellement clivant si l’on n’adhère pas au point de vue défendu par le film. Alanté Kavaïté réussi avec beaucoup de finesse et d’intelligence ce jeu d’équilibriste, qui consiste à nous donner son point de vue sur la question – à travers la scène finale du film – sans nous l’imposer. Au contraire, la cinéaste se plaît à faire naître un sentiment de profonde perplexité et, chose rare, nous invite à nous positionner.
Belladone, en salles le 26 mars.