L’Engloutie de Louise Hémon

Avec L’Engloutie, présenté à la Quinzaine des Cinéastes, Louise Hémon fait ses premiers pas à Cannes sous le signe de la neige et du mystère, et signe un (presque ?) film de genre au minimalisme magnétique. D’un scénario d’une simplicité bienvenue – une institutrice tente de s’intégrer au sein d’un minuscule hameau enneigé aux confins des Hautes-Alpes – la cinéaste parvient à installer une atmosphère envoûtante, et nous emprisonne petit à petit dans une toile bien moins inoffensive qu’elle n’y paraît. Par Lena Haque

Sur les traces de la très républicaine Aimée Lazare – impeccablement interprétée par Galatéa Bellugi –, nous assistons d’abord à toutes ses tentatives infructueuses pour se faire accepter par ses voisins. De l’hygiène à l’écriture, décidément, ils ne sont d’accord sur rien ; étouffée par les montagnes qui surplombent le village et par le quatre-tiers de l’image, Mlle Lazare tente également de survivre au rude hiver paysan qui s’abat en cette fin du XIXe siècle. Avant qu’elle ne trouve peu à peu sa place dans le quotidien étrange de ce village, qui avance au rythme de ses croyances ancestrales, de son patois italien et du folklore local. Tard le soir, l’institutrice rêve d’une étreinte et fantasme au coin de l’âtre.

Érotique en diable
Malgré la blancheur virginale de ses sommets enneigés, c’est bien de désir dont nous parle L’Engloutie. Délestée de ses innombrables fourrures, le corps vibrant d’Aimée se rappelle à elle dans l’intimité de sa petite chambre. Et tout est bon pour incarner ses fantasmes : des images qui habitent ses vieux livres d’école aux nouveaux voisins, qui défilent dans l’intimité de sa chambre-étable. Autour d’elle, il n’y a par ailleurs que des hommes, toutes les femmes du village étant descendues dans la vallée pour occuper des fonctions de domestiques jusqu’au printemps. C’est un troublant duo de garçons de son âge – incarnés par Samuel Kircher et Matthieu Lucci – qui l’aide à tromper la solitude. En suggérant plutôt qu’en montrant, et grâce à un travail d’orfèvre sur le son, Louise Hémon excelle dans la mise en scène de l’érotisme souterrain et puissant qui lie ses protagonistes. Une respiration, un geste de la main et quelques braises rougeoyantes lui suffisent pour attiser la flamme entre ses héros. Mais derrière les images d’Épinal, l’horreur gronde et se rapproche : seraient-ce les avalanches, les préjugés des villageois, ou autre chose de plus sauvage encore ? À grand renfort d’images épurées, presque sans paroles, la réalisatrice distille les réponses, ou pas, laissant à notre imagination le soin de combler les blancs. Le résultat ? Une énigme délicieuse, un premier film diablement érotique, suspendu entre superstition et réalité.

L’Engloutie, en salles le 24 décembre 2025.