Silver Star de Lola Bessis et Ruben Amar

Second long-métrage des cinéastes français installés aux US Lola Bessis et Ruben Amar, SILVER STAR lance deux héroïnes laissées-pour-compte dans un road-trip effréné à travers une Amérique heurtée par le Trumpisme. Une ode à la sororité, tendre et improbable.

Par Camille Griner

Silver Star s’ouvre sur les notes du mémorable Fratres d’Arvo Pärt, qui accompagnent l’arrivée d’un groupe de soldats à cheval sur une zone de combat. Parmi eux, Billie et sa silhouette longiligne, au visage androgyne en partie camouflé par un cache œil, attire plus particulièrement la caméra des frenchies Lola Bessis et Ruben Amar. Une séquence d’introduction pour le moins énigmatique après lecture du synopsis, avant que la vérité n’éclate à l’écran : il s’agit d’une reconstitution historique d’une bataille de la guerre de Sécession, se clôturant en un zoom lent sur des corps reprenant vie sous une nuée d’applaudissements. Tandis que certains sortent de la poche de leurs tuniques bleues des smartphones, Billie (Troy Leigh-Anne Johnson, aussi taiseuse qu’hypnotique) fend la foule avec son canasson jusqu’à son van et décampe vers la maison familiale. Pavillon devant lequel elle reste planquée, à distance, épiant son paternel handicapé, ancien lieutenant décoré de la prestigieuse Silver Star. Descendante d’une lignée de militaires afro-américains, l’impulsive jeune femme se met en tête de sauver de l’expulsion ses géniteurs, qui ont hypothéqué leur foyer à cause des frais engendrés par les soins médicaux et la défense de leur fille. Une situation précaire, qui fait suite à une altercation musclée avec la police qui a coûté un œil et un séjour en prison à Billie. Bille en tête et en liberté conditionnelle, elle décide donc de braquer une banque et prend en otage Franny (Grace Van Dien, lumineuse), pipelette peroxydée et ex toxico enceinte jusqu’aux oreilles. La rencontre impromptue de ce duo improbable d’héroïnes laisse alors éclore le fil rouge du récit : celui de leur longue cavale à travers l’Amérique post-Trump, dépouillée de ses paillettes, qui n’est pas sans rappeler celle des films de Sean Baker et American Honey d’Andrea Arnold.

Quand Billie rencontre Franny

Ruben Amar et Lola Bessis expérimentent ici la fièvre et la patte technique propres au cinéma indépendant du Pays de l’oncle Tom. Malgré les contraintes budgétaires, le duo de cinéastes parvient à insuffler dynamisme et intensité à sa mise en scène à coups de caméra à l’épaule embarquée dans les séquences de voiture. Par l’utilisation de téléobjectifs, qui filment en très gros plans, Silver Star enserre sa narration et ses personnages, au diapason du sentiment d’enfermement qui consume secrètement chacune des protagonistes. Abandonnées de tous et toutes deux prisonnières de leur situation, Billie et Franny entament un voyage parsemé de plans foireux, magnifié par la lumière naturelle aux couleurs de fin d’automne des paysages du New Jersey. Ode à la sororité, aux laissés-pour-compte, à l’entraide et au partage, le film propose un périple féminin tendre et charmant, boosté par deux héroïnes qui se découvrent, pansent leurs fêlures et éclosent peu à peu.

Jamais en manque d’idées, Silver Star convoque au gré de ses scènes les road movies à l’esthétique typique du Nouvel Hollywood des seventies, de La Balade sauvage (Malick) à Trois Femmes (Altman). Le film évoque également le cultissime Thelma et Louise de Ridley Scott, tant les jeunes comédiennes Grace Van Dien et Troy Leigh-Anne Johnson forment un duo féminin déjà inoubliable, dignes héritières et petites sœurs 2.0 dotées du même capital sympathie que les éternelles Geena Davis et Susan Sarandon, lancées à toute berzingue sur les routes de l’Arkansas.

Silver Star, en salles le 26 novembre.