Les Rêveurs d’Isabelle Carré
Par Marine Bohin
Pour sa première réalisation, Isabelle Carré adapte son propre livre Les Rêveurs et délivre un récit autobiographique lumineux. Elisabeth, célèbre comédienne (jouée par Carré elle-même), voit ressurgir ses souvenirs à l’occasion d’un atelier qu’elle donne dans une unité psychiatrique pour adolescents. Elle aussi a été l’une des patientes de l’institut Necker, ayant côtoyé à 14 ans le désir de mourir. Puis viendront la révélation du théâtre et l’envie de guérison quand elle découvre, pendant son internement, Romy Schneider et sa réplique d’Une femme à sa fenêtre : « Je préfère les risques de la vie aux fausses certitudes de la mort. »
Les fragments d’une enfance bancale se dessinent devant la caméra d’Isabelle Carré et dans la mémoire d’ Elisabeth, son incarnation fictive. Une mère anorexique, un père coureur — dans tous les sens du terme, qui cache son homosexualité et fuit sa famille —, un frère pour seul ami. Les premières souffrances amoureuses se muent en un mal de vivre à l’issue radicale : Elisabeth avale tous les comprimés de l’armoire à pharmacie et se retrouve hospitalisée. À ses côtés, d’autres jeunes qui comme elle ont goûté trop tôt à la tristesse, notamment une gamine punk dont le soutien s’avèrera plus efficace qu’un médicament… Voici un récit initiatique qui pourrait sans peine glisser vers le sordide ou le convenu, mais que la délicatesse de sa narratrice parvient à rendre gracieux. Isabelle Carré bâtit autour de la formidable Tessa Dumont Janod — son double adolescent — une constellation de personnages puissamment incarnés par Mélissa Boros (Alpha), Judith Chemla (décidément impeccable en mère ébréchée) et Bernard Campan, son compagnon de route depuis 25 ans.
L’hôpital et ses fantômes
La cinéaste emprunte très subtilement à l’esthétique du cinéma de genre, jouant sur nos a priori et notre peur du milieu psychiatrique : isolés, certains plans ne détonneraient pas dans un film de fantômes. Les déambulations au sein de la clinique, mises en image par la cheffe-opératrice Irina Lubtchansky, prennent des allures spectrales. Des enfants pâles errent dans les couloirs, les cliquetis de clés et respirations sont amplifiés pour appuyer la sensation d’enfermement. La caméra glisse dans les décors hospitaliers, livides, à l’opposé de l’appartement familial qui baigne lui dans une lumière rouge sang. On frôle souvent le cauchemardesque sans jamais y tomber, la mise en scène refusant toute forme de brutalité graphique pour ne diffuser qu’une inquiétante étrangeté, toujours teintée de poésie. Une façon de rappeler la froideur d’une institution qui a bien évolué dans son approche des soins pédopsys, mais qui souffre aujourd’hui d’un manque de moyens grandissant. « On nous appelle patients parce qu’on nous fait mariner avant de pouvoir sortir », glisse, malicieuse, la jeune Elisabeth. Devenue adulte, Isabelle Carré livre un drame bouleversant empreint d’une grande humanité et rebaptise ces patients « les rêveurs »
Les rêveurs, en salles le 12 novembre