On vous croit de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys

Par Léo Ortuno

Une mère épuisée et combattante plonge dans les arcanes d’une justice qui met du temps à l’écouter. La garde de ses enfants est réexaminée et entraîne une confrontation avec un père incestueux. Au centre du dispositif, une audience judiciaire reconstituée en temps réel, soit près d’une heure, pour un huis clos tendu où la parole et l’écoute occupent une place centrale. Drame tendu, On vous croit marque par son intensité, sa justesse et la force de ses interprètes. Derrière la caméra : Arnaud Dufeys, réalisateur belge ayant signé plusieurs courts-métrages remarqués, et Charlotte Devillers, infirmière en centre de santé sexuelle à Paris. Une rencontre fructueuse pour un premier long-métrage qui rafle des prix dans la plupart des festivals où il est montré.

Vous venez dhorizons distincts, comment vous êtes-vous retrouvés à travailler ensemble ? Charlotte Devillers : Ce sont deux univers différents mais pas si éloignés ! Nous nous sommes rencontrés sur Instagram, il y a plus de quatre ans. J’avais repéré le travail d’Arnaud et l’ai sollicité pour un projet. On a commencé à écrire ensemble et on a vu passer une aide à la production légère du Centre du Cinéma à Bruxelles. On a mis notre premier projet en pause pour répondre à cet appel, avec l’urgence d’aborder le sujet de la maltraitance faite aux femmes et aux enfants. Tout s’est fait très rapidement, en deux ans seulement.

Le genre du film judiciaire est venu à ce moment-là ?
C.D. : Oui, on avait envie de mettre en lumière ces espaces de justice qu’on n’a pas l’habitude de voir. Ce sont des endroits où des vies entières peuvent complètement basculer.

Arnaud Dufeys : Ça a découlé du travail de Charlotte dans le secteur de la santé et de son engagement à la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants). Quand elle m’a emmené écouter des témoignages, on a compris combien les paroles se ressemblent, se répètent, et à quel point le cœur du film était déjà là : les prises de paroles successives, la possibilité de comprendre le contexte rapidement, il y a énormément d’enjeux. On s’est dit qu’on allait construire une grande partie du film en temps réel, le temps de cette audience.

C.D. : La parole dans ces commissions est un enjeu majeur. Ce qu’on entend là, ce sont des récits qu’on n’imagine pas, qu’on voudrait taire. C’est un sujet extrêmement tabou et le projet d’On vous croit est de filmer cette parole, rendre visible cet invisible.

Comment avez-vous travaillé l’écriture du film ?

A.D. : L’écriture était très précise, et le discours de chaque personnage millimétré. Pour le tournage, nous voulions travailler avec des avocats de métier : ils ont plaidé sur la base du scénario, mais s’appropriaient leur texte selon leurs réflexes professionnels. En face, les comédiens travaillaient au mot près. Ce mélange a rendu le dispositif imprévisible et chaque échange réaliste.

C.D. : Les audiences réelles sont souvent plus courtes, mais on a insisté pour donner un vrai temps de parole à chaque personnage, tout particulièrement à la mère, pour qu’elle puisse se reconstruire via la justice et non contre elle.

Sur le plateau, comment se passe cette rencontre entre comédiens et avocats ?

C.D. : C’était très fluide, à la surprise générale. Les avocats ont cette théâtralité acquise dans leur métier, les comédiens étaient fascinés par leur aisance dans l’art de la plaidoirie. Chacun trouvait sa place. Par exemple, pour le rôle du père et de son avocat, ils avaient de vrais rendez-vous, se vouvoyaient… Ils ont préparé la scène comme s’il s’agissait d’une véritable audience.

A.D. : Ils s’appuyaient sur leurs points forts mutuels, s’observaient beaucoup. Si les avocats étaient en effet très précis, ils découvraient aussi la charge émotionnelle que Myriem pouvait envoyer quand elle jouait.

Vous avez procédé à un casting pour les trouver ?
C.D. : Oui. Colline Potier, notre directrice de casting, a cherché des avocats via des annonces. Beaucoup étaient déjà engagés sur ces questions. Les avocates du père et de la mère, ce sont aussi des militantes, participer au film était une manière de prolonger leurs réflexions.

A.D. : Le réseau juridique s’est vite montré réceptif. On n’a pas vu tant de monde que ça finalement et les avocats étaient très volontaires pour participer. Ils avaient parfois déjà fait du théâtre, étaient en tout cas passionnés par le jeu et l’éloquence. L’adhésion au scénario nous a rassurés sur la justesse du film.

me si la juge est un personnage qui a une vision progressiste, le film ne cache pas la violence subie par les victimes dans le processus, ni les dysfonctionnements du système. Comment avez-vous réfléchi à la manière de représenter la justice à l’écran ?

A.D. : C’était important d’avoir cette juge qui fait bouger les lignes, qui est irréprochable et accorde une place particulière au fait d’être écouté.

C.D. : Et en même temps, on a voulu traduire la longueur et la lassitude du parcours judiciaire, sans juger, juste en posant la difficulté du combat. Dans les séquences avant et après l’audience, on voit que la mère est fatiguée par la justice. Et je pense que tout le monde l’est d’une certaine manière. Mais on voulait aussi faire émerger, dans la parole de la mère, une lueur d’espoir.

Comment maintient-on la tension sur une si longue scène en temps réel ?
A.D. : C’était une question centrale, il ne fallait pas que ça retombe. On a travaillé sur des rebondissements dans l’écriture, pour qu’il y ait une vraie progression dans le récit.

C.D. : C’était déjà rassurant de voir qu’au scénario les gens ne décrochaient pas et restaient tenus jusqu’au bout malgré les gros blocs de texte.

A.D. : Dans la mise en scène, on faisait de longues prises pour avoir de l’intensité dans le jeu et des réactions inattendues. On a tourné à trois caméras pour filmer à la fois la parole mais aussi l’écoute. Le gros enjeu était au montage pour équilibrer tout ça, découper ces longues prises et instaurer une progression qui garantissait de rester en tension.

Comment accompagne-t-on un enfant sur un tournage au sujet si dur ?
C.D. : C’est toujours délicat d’aborder les questions d’intimité avec les enfants. Ulysse avait 10 ou 11 ans au moment du tournage. Au début, on était en difficulté, on ne savait pas trop comment en parler avec lui. On se faisait presque rattraper par l’aspect tabou du sujet. Puis un jour il nous a demandé ce qu’avait fait son père exactement. La simplicité a été essentielle et il existe plusieurs supports de prévention qui permettent d’accompagner la discussion. Et dès qu’il a compris, c’était bon, il a très bien joué.

Avec quoi espérez-vous que les spectateurs repartent en sortant du film ?

A.D. : Pour moi, le cinéma, c’est avant tout de l’émotion. Amener le spectateur au plus près de la psychologie du personnage et laisser l’émotion faire son chemin à chaque étape. Je pense que c’est de cette manière que le film crée une vraie réflexion sur la réalité traitée.

C.D. : J’espère qu’On vous croit va toucher à la fois le public militant mais aussi les amateurs de cinéma. Que ceux qui viennent pour l’esthétique repartent questionnés sur le sujet, et inversement.

On vous croit, en salles le 12 novembre