On Vous Croit d’Arnaud Dufeys et Charlotte Devillers
Dans un décor presque unique – le bureau d’une juge dans un tribunal immaculé – On Vous Croit est une fiction émouvante et éloquente, au plus proche du réel, sur la parole des victimes et leur place dans l’institution judiciaire.
Par Pierre Charpilloz
« La justice est à la fois une valeur et une institution », clamait le ténor du barreau Charles Dunand (Alain Delon) dans Un Crime de Jacques Deray (1993). On Vous Croit est un film sur la justice, dans sa définition la plus globale : il y a celle que cherche une mère de famille pour ses enfants, abusés par leur père dont elle est aujourd’hui séparée et qui réclame la garde. Et il y a l’institution, la juge des enfants qui cherche la vérité dans les récits contradictoires des parents et de leurs avocats pour offrir aux enfants la solution dont ils ont besoin. Premier long d’Arnaud Dufeys, connu pour ses courts-métrages (dont Un Invincible Eté, vu à la Berlinale) et de Charlotte Devillers, infirmière travaillant particulièrement avec des victimes de violences sexuelles, On Vous Croit aurait pu être un documentaire, mais c’est une fiction, portée d’ailleurs par deux formidables comédiens belges. Il y a Laurent Capelluto, insoutenable à souhait en père qui joue l’injustice, aux stratégies fourbes et pathétiques ; et bien sûr Myriem Akheddiou, qui interprète une mère bouleversante, parfois brillante dans ses tirades, d’autres fois maladroite, sur le fil, trop émotive souvent – mais comment ne pourrait-elle pas l’être, alors que ses enfants risquent d’être confiés aux bras de leur agresseur ? Une mère courage, peut-être, en tout cas une mère tout court, aimante, terrorisée et combative.
Pour autant, On Vous Croit n’est pas une fiction comme les autres. Le scénario, dont les personnages et les ressorts émotionnels, écrits avec beaucoup de finesse, touchent au cœur, est aussi un outil pour nous faire comprendre la justice, sa logique et son fonctionnement. L’essentiel du film, cinquante-cinq minutes sur une heure dix-huit, est fait d’une seule scène d’audition des parents, de leurs avocats, et de l’avocat des enfants, avec la juge, qui se déroule en temps réel. Selon une convention très codifiée, chacun prend la parole à tour de rôle, défendant sa position. Il est intéressant de noter que les trois conseils sont interprétés par de vrais avocats, et ils ne sont jamais sublimés par le cinéma. Il n’y a pas de grande plaidoirie et les cinéastes évitent soigneusement tous les écueils spectaculaires du genre. Car, nous rappellent-ils, la justice n’est pas toujours un spectacle. C’est aussi un travail de professionnels, pas forcément les meilleurs de leur ordre, mais qui font leur job du mieux qu’ils peuvent. On les voit ainsi bafouiller, utiliser des phrases toutes faites pas toujours bien digérées, faire preuve de mauvaise foi. Et il est agréable de voir dans un film de vrais avocats, et pas des génies de l’art oratoire que le cinéma fabrique par centaine et qu’il existe très peu en réalité.
Le palais des courants d’air
Le palais de justice de cet anti-film de procès est bien loin des colonnes à l’antique. Un décor au contraire lumineux, ultra-moderne et froid, qui peut sembler artificiellement cinématographique dans son minimalisme. Ce qui compte ici, ce n’est pas le décor mais les gens, comme en témoigne les choix de mise en scène, offrant de nombreux gros plans sur les visages des personnages. Un décor lumineux et presque diaphane qui rappelle évidemment le désir de transparence de la justice mais évoque aussi le nouveau Palais de Justice de Paris, celui de Nantes (vu dans La Fille au Bracelet de Stéphane Demoustier) ou toute institution moderne. Toute la théâtralité à laquelle les films de procès nous ont habitués est ainsi évacuée : pas de manteau d’hermine, de marteau ou de cour. Ce qui intéresse les cinéastes se joue ailleurs que dans les fastes du procès, mais plutôt dans les moments d’attente, dans une organisation aussi rigide qu’imparfaite, qui fait que le père parvient à entrer en contact avec ses enfants alors que la mère, pour leur bien être moral, s’y était farouchement opposée. On Vous Croit est un document sur ce que subissent les victimes après les violences sexuelles, du stress post-traumatique et de ses effets somatiques les plus honteux, à la violence d’une procédure qui, à force de rappeler que le coupable est présumé innocent, place trop souvent les demandeurs de justice dans l’horrible position du présumé menteur. Le film de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys interroge la nécessaire mais perfectible position de neutralité de la justice, mais pour autant, dès son titre, il prend position. S’il est souvent aussi stressant qu’un thriller, On Vous Croit n’est pas un film à suspense façon whodunit. Il ne repose pas sur des effets scénaristiques questionnant la culpabilité des protagonistes. L’enjeu est ailleurs. Sur des sujets où la prise de parole est si difficile, à savoir les violences sexuelles au sein d’une famille, il faut, nous rappellent les cinéastes, faire appel à la justice. Mais il faut aussi croire les victimes.
On Vous Croit, actuellement en salles