Guillermo Galoe : « J’ai voulu me confronter à un mode de vie en voie de disparition »

Auréolé du Prix SACD de la Semaine de la critique à Cannes, le premier long-métrage de Guillermo Galoe plonge en plein cœur de la Cañada Real, le plus grand bidonville d’Europe situé dans la banlieue de Madrid. Rencontre avec un réalisateur qui milite pour la reconnaissance des milieux marginaux, mais aussi pour un cinéma plus poétique et immersif.

Propos recueillis par Camille Griner.

Comment avez-vous rencontré la communauté de la Cañada Real ?

En 2015, lors du tournage de mon documentaire Frágil Equilibrio à Madrid, je suivais des familles victimes d’expulsions durant la crise de 2008-2014. Des fonds vautours logeaient des gens de la Cañada Real dans des HLM du Sud-Est de la ville, dans le but de faire partir les derniers résidents. Ils utilisaient ces personnes en situation d’extrême marginalité – et je dis bien « utilisaient », puisqu’ils ont fini par les expulser à leur tour – pour parvenir à leurs fins.  

À cette époque, je suis allé à la Cañada, que je connaissais via des « on dit » et les médias, et ce que j’y ai découvert était complètement différent de l’image que j’en avais. J’ai vu un lieu profondément marginalisé, presque hors du temps, mais aussi un monde à part entière, à quinze minutes du centre de Madrid. J’ai vu de nombreuses familles modestes de la classe ouvrière se battre pour être vues et reconnues. J’ai ressenti leur énergie, qui m’a profondément touché, et j’ai su que j’y ferai mon prochain film. 

Comment avez-vous élaboré le scénario ?

J’ai compris rapidement que réaliser ce projet prendrait du temps. Je voulais faire un film avec la communauté, et non sur la communauté. J’ai commencé par passer du temps là-bas et faire connaissance avec les familles. J’ai animé des ateliers avec les jeunes, et parfois leurs parents, on réalisait des courts métrages avec des téléphones portables. Je n’ai sorti la caméra qu’au bout de deux ans, lorsque j’ai senti une confiance suffisante de la part de la communauté. Et j’ai filmé des séquences à partir de fin 2020, lorsque l’électricité a été coupée et que les familles ont commencé à vivre à la lumière du feu et des générateurs. 

L’élaboration du scénario s’est étalée sur six ans. Il a évolué en même temps que ma relation avec la communauté. Nous avons commencé à écrire avec une certaine distance par rapport au monde représenté. Cette distance s’est progressivement atténuée à mesure que nous étions plus intimes du territoire. Le scénario est fictif, mais nous l’avons écrit en nous basant sur les personnes rencontrées au cours des années que j’ai passé à la Cañada Real. Les conflits traversés par les personnages, leurs manières de parler, la légende que raconte la grand-mère de Toni… Ce sont des choses vues et entendues là-bas, même si je les ai librement remodelées. 

Jouer avec les filtres des téléphones portables et leurs différentes couleurs permet d’entrer pleinement dans l’univers de Toni et de son ami. Comment est née cette idée ?

J’ai été attiré par le fait de valoriser ce qui disparaît, à travers la beauté et la magie que toute réalité peut déceler, aussi dure soit-elle. Ce qui est inhérent au cinéma, c’est précisément sa capacité à susciter la magie et l’émerveillement. Le film, comme Toni, appelle à la liberté. Il crée des images sauvages et libres, aussi extrêmes que le lieu dans lequel vit Toni. Je voulais donner du poids à la parole et aux traditions par le biais de l’image. Les légendes passées et futures naissent grâce au téléphone portable, et deviennent des images qui explorent le présent du héros. 

Ciudad Sin Sueño dépeint une double fin du monde : celle de l’enfance de Toni et celle de sa communauté. 

C’était surtout l’idée de se confronter à un mode de vie qui existe en marge de la société, en voie de disparition car il n’a plus sa place dans la société de consommation. Se concentrer sur ce qui se passe aux marges remet en question la société capitaliste, centralisée et mondialisée, qui souffre de problèmes d’identité et d’appartenance. D’un côté, il y a une tendance à l’homogénéisation qui efface la diversité, et de l’autre, nous ne parvenons pas à apprendre et continuons de perpétuer une discrimination fondée sur la classe, l’origine ethnique, le genre… Si le cinéma a le pouvoir de saisir l’invisible, alors il peut interpeller la société et contribuer à son amélioration. Sans rien idéaliser, j’ai cherché à retrouver ce sentiment de communauté et d’appartenance qui se réaffirme même dans les environnements les plus reculés. 

Aviez-vous des films en tête lors de l’écriture du film, qui oscille entre le western et le conte ?

Les influences sont toujours présentes. Pourtant, je crois qu’il est essentiel, en tant que cinéaste, de toujours chercher la nouveauté dans le langage cinématographique, de s’aventurer dans l’inexploré. Le sculpteur Eduardo Chillida a dit un jour : ‘J’ai fait mieux parce que je ne le savais pas, et j’ai emporté avec moi doutes et émerveillement’. D’une certaine manière, c’est ce sentiment d’émerveillement et cette capacité à s’émerveiller que je me suis efforcé de préserver dans le film.

Que pouvons-nous vous souhaiter pour la suite ?

Je suis en pleine écriture d’un film d’aventure sur l’amour. Alors, vous pouvez me souhaiter de l’amour et des aventures, ce qui est déjà beaucoup !

Ciudad Sin Sueño, en salles le 3 septembre.