Photos de plateau sur le film DOSSIER 137 de Dominik Moll Commande pour Haut & Court Distribution © Fanny de Gouville // Modds

Dossier 137 de Dominik Moll

Par Benjamin Cataliotti

La fiction politique n’en a pas fini d’interroger la frontière glissante entre objectivité déontologique et éthique personnelle. Dans La Nuit du 12, le précédent film de Dominik Moll, l’inspecteur incarné par Bastien Bouillon était contaminé par un double mouvement : à la fois par son enquête sur un féminicide et par des conditions de travail de plus en plus dégradées. Tous ces éléments finissaient par isoler le policier, transformant un travail collectif en une quête solitaire. Récemment, une série comme Hippocrate a dévoilé le quotidien de soignants qui, pour accomplir leur vocation, se retrouvent nécessairement à la limite de la légalité. Est-ce qu’on peut encore se regarder dans la glace en se contentant de suivre doctement les règles ? Ce n’est pas une dissertation de philosophie que doit rédiger Stéphanie Bertrand, ancienne enquêtrice des Stups passée à la police des polices, mais un rapport sur une affaire de violences policières en plein Gilets jaunes ; le fameux dossier 137, qui donne son nom au film. Pourquoi ce titre si bureaucratique ? Parce que, bien sûr, des affaires comme ça, mettant aux prises des brigades spéciales, accusées d’avoir grièvement blessé des manifestants, on se dit qu’il y en a eu des tas. Une affaire de plus, donc ? C’est un leurre. Au cinéma, il n’y a pas d’affaires de plus. Si Dominik Moll décide de poser sa caméra dans ce bureau où Stéphanie Bertrand revendique, auprès de son supérieur, de ne pas avoir de « sentiment personnel », c’est bien pour observer lentement, méthodiquement, la montée progressive de ces fameux sentiments et de cette morale individuelle que l’inspectrice voulait nier. Jusqu’à basculer de l’autre côté ?

Où se trouve le cœur de l’affaire ?

Mais de quel côté au juste ? Celui des manifestants ? Celui de ce gosse dévisagé par un tir de flashball à bout portant ? Ou de cette République qu’on dit vacillante au point de justifier toutes les exactions ? Dominik Moll n’est certes pas un révolutionnaire, mais il a du savoir-faire. Avec Laurent Rouan, son monteur, ils construisent un début d’enquête limpide, enchaînant les témoignages, convoquant flics, victimes et témoins dans un mouvement rapide, un flux de paroles qu’enregistre patiemment Stéphanie Bertrand, elle qui se croit protégée derrière son bureau et sa conviction d’être du bon côté de l’histoire. Inutile pourtant d’être grand clerc pour deviner que son enquête ne s’achèvera pas sur les conclusions attendues. Comme dans tous les bons polars, l’enjeu n’est plus tant de savoir si les coupables seront châtiés, mais plutôt dans quel état se trouvera la justicière au bout de son parcours. 

Léa Drucker est parfaite dans ce rôle. L’actrice arrose chaque échange d’humanité et d’empathie, empêchant ce film-dossier d’étouffer sous les arguties factuelles. Blond visage d’une France qui se croyait à l’abri, bien au chaud dans ses principes républicains, elle est cette Marianne ébranlée, insultée, que ce soit par les policiers ou leurs victimes. On comprend alors : le cœur de l’affaire ne se trouve pas dans la litanie de témoignages ou de preuves par l’image, lesquelles ne sont rien quand le politique décide de regarder ailleurs, mais dans le fond des yeux de cette femme qui, le temps d’une scène glaçante, délaissera son travail pour se détendre en posant son regard sur des vidéos de chats piochées sur internet. Ces images-là, au moins, ne lui font pas de mal.

Dossier 137, en salles le 19 novembre.