Enzo de Laurent Cantet et Robin Campillo

Portrait d’un adolescent en butte à la pression familiale et œuvre posthume de Laurent Cantet, dont le cinéaste Robin Campillo a hérité, Enzo ouvrait hier la Quinzaine des Cinéastes. Un drame traversé par la lumière et la douceur. Par Marine Bohin.

Henri-Georges Clouzot avait peut-être tort lorsqu’il assurait : « Pour faire un film, premièrement, (il faut) une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire… » 

Un bon film peut visiblement naître d’une histoire très banale, mais transcendée par une écriture brillante, des personnages auxquels on croit, une direction d’acteur nuancée. En l’occurrence, le scénario empreint d’humanité écrit par Laurent Cantet avant sa mort se voit sublimé par la mise en scène solaire de Robin Campillo : Enzo est un film bicéphale qui lie deux sensibilités, deux regards de cinéastes en une œuvre parfaitement cohérente.

Enzo a 16 ans, un âge où l’on demande aux adolescents de faire des choix alors qu’ils n’ont envie que d’explorer. Sa famille a tous les attributs de la perfection policée : mère ingénieure, père enseignant et frère promis à de belles études qui vivent dans une splendide maison sur les hauteurs de La Ciotat. Mais Enzo refuse le système scolaire et veut devenir maçon. Être de ceux qui travaillent avec leur mains pleines de cloques et non de ceux qui s’en servent pour écrire des mails. Il est tiraillé entre son goût pour l’art et sa volonté d’apprendre les métiers du bâtiment ; et puis il y a les filles à qui il plait, et ses collègues ukrainiens qui créent chez lui un trouble nouveau… Plutôt que de jouer sur l’opposition clichetoneuse entre métiers physiques et élites intellectuelles, Laurent Cantet et Robin Campillo soulèvent des questionnements plus subtils, sur la difficulté de se sentir en décalage dans sa propre famille, la pression sociale et l’injonction à la normalité. Au lieu de dénoncer la masculinité, le film préfère en dépeindre les vulnérabilités, les aspérités, tout comme il évite savamment les écueils du bourgeois-gaze.

À l’instar du précédent long de Laurent Cantet, L’Atelier – projet auquel participait déjà Robin Campillo comme scénariste -, il est question ici de transmission mais aussi de la porosité entre les catégories sociales qui se côtoient – grâce, entre autres, à la très intelligente utilisation de la maison de verre, impressionnant décor central. Une dernière partie plus faible et certains personnages insuffisamment caractérisés peuvent alourdir un film porté à bout de bras par ses comédiens, Eloy Pohu en tête ; sans le ternir pour autant. La plus jolie réplique revenant à la mère interprétée par Élodie Bouchez, qui résume parfaitement la problématique du  film – et de la parentalité – en ces termes : « Les gamins, on a envie qu’ils rentrent dans le rangs… Mais quand ça arrive, on regrette leur folie. »


Enzo, en salles le 18 juin.