Gints Zilbalodis (FLOW) : « C’est peut-être le seul film où l’équipe a été payée à regarder des vidéos de chats mignons sur internet ! »

Les films d’animation ne sont pas pléthores à Cannes mais lorsqu’ils sont là, c’est généralement bon signe. Lors de cette 77e cérémonie, pour une fois, l’animation n’a pas été boudée. Les studios Ghibli ont reçu une palme d’honneur lors d’une cérémonie à guichets fermés et Flow, du jeune réalisateur letton Gints Zilbalodis, sélectionné à Un Certain Regard. Ce film d’animation, véritable OVNI, qui mélange dessin à la main et animation 3D basée sur des prises de vues réelles, a conquis la Croisette. Pendant 1h25 la caméra suit un petit chat noir dans un monde menacé par une montée des eaux inéluctable et inexpliquée où les humains ont disparu.  Il trouve refuge sur un bateau avec quatre autres animaux et doit apprendre à cohabiter. Sous couvert d’un scénario très simple, la beauté de l’image, le travail sur le son, en fait un film qui s’adresse largement à un public adulte. Par Alice de Brancion. Photos : Dransi.

Vous faites un film entier sans parole, avec simplement des sons et de la musique. Pourquoi ce choix ? 

Je n’aime pas parler, j’aime raconter visuellement mes histoires ! Donc dans mes films il n’y a pas de dialogue et pour qu’il n’y ait pas de parole il faut qu’il y ait une raison sinon c’est trop bizarre. 

Dans mon premier film il n’y avait qu’un seul humain, les autres protagonistes étaient des animaux. Le personnage n’avait donc personne avec qui parler. 

Dans Flow il n’y a que des animaux, les humains ont disparu, il y a donc encore moins besoin de dialogue ! 

Mais attention, ça ne simplifie pas la tâche narrative, loin de là ! Ça été un énorme défi d’animer des animaux et de les rendre expressifs. Ils doivent pouvoir véhiculer des émotions avec leur langage corporel tout en restant très animaux. On ne voulait pas du tout exagérer leurs traits, on voulait qu’ils restent très naturels et qu’ils n’agissent pas du tout de près ou de loin comme des humains. 

Pour cela mon équipe d’animation a passé beaucoup de temps à regarder des vidéos de chat sur internet. C’est peut-être le seul film où l’équipe a été payée à regarder des vidéos de chats mignons ! 

Et vous vous accommodez très bien de ce défi !  C’est un film où on ne se rend même pas compte de l’absence de parole, on est complètement happé par ce monde.

Dans Flow j’ai fait en sorte, et j’espère que ça se ressent, que le spectateur se sente immergé dans cette histoire, qu’il soit au plus près des protagonistes et qu’il vive leurs expériences.
Pour cela j’ai essayé de faire des séquences entières d’une seule traite, sans montage. Je voulais que le sentiment global s’approche de celui d’un documentaire. Je veux qu’en regardant le film on puisse sentir le vent, que le spectateur ait la sensation de la terre qui tremble, des vagues qui deviennent de plus en plus menaçantes. Mon but est vraiment qu’on soit embarqué par le film grâce à la caméra.  

Et pour moi c’est possible car justement il n’y a pas de dialogue. J’ai l’impression que les autres éléments de la création cinématographique ont plus de place, qu’on peut tester plus de choses. Je peux être plus expressif avec la caméra, exprimer plus de choses. Sans parole, on peut vraiment utiliser la caméra comme un outil de dialogue : les mouvements peuvent transmettre la curiosité, la peur, les interrogations des personnages dans le film. 

Mes films préférés sont d’ailleurs des films avec beaucoup de silence, qui laissent beaucoup de place à la réalisation par exemple Les fils de l’homme d’Alfonso Cuaron ! Évidemment il y a des dialogues mais il y a un moment dont je me rappelle qui est extrêmement fort : quand la caméra explore et tourne autour des protagonistes. Cela fait monter la tension de manière incroyable. 

D’autres films d’animation laissent cette liberté à la caméra, par exemple les films du studio Ghibli. Je pense évidemment à cette scène très célèbre de Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki. Les deux petites filles attendent le bus sous la pluie et elles ne parlent pas. Et cette scène n’a pas besoin de dialogue, elle marche tout simplement.

C’est ça que j’ai voulu faire dans Flow. 

C’est un monde où les humains ont disparu et où l’eau monte jusqu’à menacer toutes les espèces terrestres. Il y a une référence qui semble assez évidente pour les spectateurs, celle de l’Arche de Noé. Vous vous êtes inspiré de cette histoire ? 

Je n’ai pas réfléchi à l’histoire de FLOW en ces termes là même si le parallèle est évident. J’ai surtout pensé que l’inondation suscite en nous quelque chose de très primitif. Cela hante notre imaginaire depuis l’enfance, et ce phénomène n’a pas besoin d’une explication, tout le monde comprend ce qu’est une inondation. 

Et puis c’est quelque chose qui n’est ni méchant ni gentil, c’est simplement la nature. Ce que j’aimais beaucoup avec l’eau c’est qu’elle peut être très flippante et  très belle en même temps. Il y a des moments de sérénité et des moments très menaçants. L’eau permet d’explorer ces différentes facettes. 

On parlait de l’absence de parole mais pour autant Flow n’est pas un film silencieux loin de là. Il y a une bande-son assez incroyable. 

Dans beaucoup de films animés, la musique change très fréquemment et suit l’arc narratif. Dans Flow mon choix a été de garder la même mélodie sur plusieurs minutes d’affilée. Je ne voulais pas d’une musique hyperactive qui change fréquemment. Je voulais plutôt que la musique aille très profondément dans le film puis s’élève petit à petit comme un grand crescendo. Je voulais que ma musique développe doucement une émotion, jusqu’à ce qu’on la ressente en nous. Je ne voulais surtout pas 10 secondes d’un état émotionnel puis 10 secondes d’un autre. 

Pour cela, la partition devait être très simple pour nous emmener dans un voyage. La simplicité est très importante dans mon film, je voulais que les buts de mes personnages soient très clairs et que visuellement tout soit très facile à comprendre sans avoir besoin de détails complexes : le but des animaux est d’arrivée à de très hautes tours pour échapper à l’inondation. 

Mais attention, il y a aussi des scènes sans musique où on peut juste s’immerger dans l’histoire. 

Moi je veux absolument éviter la sur-utilisation musicale pour pouvoir laisser le spectateur s’enfoncer dans ce monde sans être tout le temps dirigé par la musique.

Comme vous faisiez tout dans vos précédents films, est-ce que c’est de nouveau vous qui avez composé la musique ?   

J’ai composé la partition en collaboration avec un autre compositeur, Rihards Zaļupe. On a créé la musique très tôt dans le processus de construction du film car je ne voulais pas utiliser une musique témoin, ce que font souvent les autres réalisateurs. J’ai l’impression qu’utiliser ce type de morceau, même de manière temporaire, limite l’originalité. 

C’est pour cela que j’ai voulu avoir la bonne musique très tôt et monter le film avec la musique définitive. J’ai même eu les thèmes musicaux avant même que le scripte soit terminé. J’en ai fait une immense bibliothèque sonore sans penser à des scènes particulières du film.  Et puis au moment de montage, je me suis servie dans cette bibliothèque car je pense le montage avec la musique. Et lorsque ça ne marche pas, je peux changer le montage autant que la musique. 

Pour moi, la musique est aussi importante que le montage, elle n’est pas un simple faire valoir. La musique guide le film. 

Vous avez besoin que tout soit fait simultanément et qu’il n’y ait pas d’étape séparée ? 

Quand je monte le film, j’ai besoin de voir que tout se mette en place et marche. 

Je sais que dans beaucoup de studios d’animation, chacun fait sa partie et l’envoie à l’étape d’après mais moi j’ai besoin que tout soit fait simultanément et que le son marche avec la scénographie, qui va se mettre en place avec la lumière. Ça vient sûrement du fait que j’ai beaucoup travaillé tout seul et que je faisais tout moi-même.  

La lumière par exemple est aussi extrêmement importante d’emblée dans l’élaboration du film.  Normalement dans les films d’animation la lumière est placée à la fin, mais pour moi c’était important de le faire dès le début pour les mêmes raisons que la musique.

Justement, c’est la première fois que vous travaillez avec une équipe et non plus seul. Comment s’est passé ce changement ? 

C’était un défi ! Dans mon premier film j’avais une idée et je la faisais, je n’avais pas besoin de l’expliquer à quelqu’un d’autre. 

Pour ce film j’ai dû apprendre à trouver les mots, à communiquer, c’était très nouveau pour moi. C’était compliqué mais j’ai appris tellement de choses en travaillant avec d’autres personnes. J’ai eu énormément de chance avec mon équipe qui était très ouverte à la collaboration, cela m’a permis de moi aussi apprendre à écouter leurs idées. A partir du moment où on a eu une direction claire pour le film, on a pu vraiment dialoguer, modifier des choses et tout ça de manière très spontanée et pas du tout forcée. 

J’ai l’impression d’être devenu meilleur et d’avoir appris que je pouvais aussi montrer et pas seulement parler pour expliquer mes idées. 

En fait le petit chat qui fait tout tout seul puis qui apprend à cohabiter avec les autres animaux sur le bateau c’est un peu vous…

Oui absolument ! J’ai l’impression qu’il est important de raconter des histoires qui sont personnelles et même si les gens ne me connaissent pas, ils sentent qu’il y a quelque chose de très sincère. On a besoin d’avoir des histoires avec lesquelles on peut s’identifier. J’ai envie que les spectateurs se reconnaissent dans les personnages du film et pas seulement dans le chat, mais aussi  avec les autres animaux. Personnellement je me reconnais dans le chat mais également dans les autres animaux. 

Le chat est, au tout début du voyage, très indépendant et puis il apprend à accepter les autres et à travailler avec eux. Le chien, lui, fait le travail inverse. Il veut absolument appartenir à une équipe et petit à petit il devient plus indépendant. Ce qui les lie tous c’est qu’au fond ils ont envie d’être acceptés et intégrés dans la société. 

Je ne sais pas si vous savez mais il y  a une palme qui récompense la meilleure prestation canine à Cannes : la Palme Dog. Est-ce que vous aimeriez concourir avec le chien de Flow ? 

J’ai entendu parler de cette palme et j’ai aussi vu que cette année est très compétitive en terme de présence canine dans les films ! Mais je ne suis pas certain que les chiens de films d’animation soient éligible à cette palme. Par contre s’il y avait une « palme cat » je pense que le petit chat aurait toutes ses chances !