GHOST SONG : entretien avec NICOLAS PEDUZZI
Nicolas Peduzzi avait marqué les esprits avec Southern Belle, portrait anxiogène d’une richissime héritière texane en perdition. Il revient en ouverture de l’ACID avec l’âpre et électrisant Ghost Song, toujours filmé à Huston, entre docu et fiction. Crise des opiacés, guerre des gangs, rap codéiné, ouragan apocalyptique et rêve américain explosé façon puzzle… Ça déménage.
Avec Ghost Song, vous continuez à creuser cet univers du sud-Texas, à la fois dur et poétique, pourquoi être resté à Houston ?
Je n’avais pas forcément envie de rester aux Etats-Unis, mais ça reste la ville du diable ! Pendant Southern Belle, j’ai rencontré Will à une soirée, qui est en fait le cousin de Taylor (héroïne de Southern Belle, ndlr.), et il m’a tout de suite fasciné. Il s’engueulait en chantant avec sa copine et c’est ça qui m’a inspiré pour la scène avec son oncle, donc ça s’est fait assez naturellement. Et puis Houston est une ville très républicaine, fermée, ça donne des gens qui ont un côté intense et très lucide sur leur société et qui l’expriment de façon assez cool. Quant au personnage de la rappeuse, OMB Bloodbath, c’est pareil, on tournait Southern Belle dans une station-service, elle était à proximité – je croyais que c’était un mec – et elle nous pointe son gun, en mode un peu clip, « show off ». Ça nous a fait flipper puisqu’on n’était pas trop habitués à voir des armes et finalement, elle a rigolé et elle est venu nous parler. Il y avait plein de kids qui traînaient dans ce quartier où est née le rap « Chopped and screwed » (technique de remix en ralentissant le tempo, ndlr.) autour de DJ Screw et qui a inspiré tous les rappeurs dans le monde, Asap Rocky et les autres.
OMB Bloodbath a accepté tout de suite de participer ?
Oui, je suis allée la voir dans son quartier et là elle m’a tout, tout, tout déballé. Au début, son accent était incompréhensible, mais j’étais aussi fascinée par le personnage : une meuf comme ça, avec des gros gars à côté… Maintenant, elle commence à percer, elle a signé avec un gros label. Malheureusement, on n’a pas pu la faire venir à Cannes car elle porte un bracelet électronique… Quand je l’ai rencontrée, elle sortait de prison et tu sentais que c’était vraiment derrière elle ces histoires de gangs. Je pense que la prison l’a complètement traumatisée, elle ne veut plus jamais y retourner. En revanche, elle vit de motel en motel, cloisonnée, à longer les murs, complètement parano mais à juste titre ! Quand on se donnait des rendez-vous, elle était 1 heure avant sur place en train de surveiller… C’était tout le temps comme ça.
La scène rap est très liée aux gangs à Houston ?
Oui, il y a les « rouges » et les « bleus », mais le pote de Bloodbath qui s’est fait assassiner par exemple, Kenny Lou, c’était un « Crib » – alors que elle, elle est « Blood » – donc c’est plus un truc de quartiers qui est là depuis des années et ils ne savent même plus pourquoi ils se battent. Dans son quartier, c’est une hécatombe, elle le dit : elle a perdu 20 potes en 2 ans, elle s’est fait tirer dessus deux fois…
Vous travaillez une forme hybride, on a l’impression d’avoir des personnages de fiction face à nous… Quelles sont vos références ou vos modèles ?
J’étais fan hyper-jeune de La Bataille d’Alger de Pontecorvo, même si ça n’a rien à voir avec mon film. On sent que les personnages jouent leur propre rôle. J’ai aussi été vraiment marqué par Rossellini, les premiers Harmony Korine…
Quel est votre prochain projet ?
Au départ, j’avais l’idée de faire un truc sur le Covid, j’ai filmé à l’hôpital Beaujon à Paris, pendant le premier confinement. J’y ai rencontré un psychiatre de 33 ans, Jamal. Je l’ai suivi tout seul en mode documentaire pur. C’est un mec qui prend son temps avec chaque patient dans une société paupérisée qui va à mille à l’heure. Il ne dort pas, il n’a pas de vie privée… Il est complètement dédié à son truc. Je suis tombé amoureux de la personne.