IL MIO CORPO de Michele Pennetta
Oubliez les volcans, les plages et Le Parrain. Avec Il mio corpo, en salles le 26 mai, Michele Pennetta hybride documentaire et fiction pour dévoiler une Sicile fantôme, peuplée de migrants africains survivant dans la précarité et de ferrailleurs du cru, errant dans d’anciennes mines de soufre devenues des décharges géantes. On se laisse saisir à petit feu.
Deux voix douloureuses qui s’entremêlent pour chercher la lumière : c’est la clé de voute du « Stabat mater » de Pergolèse, œuvre religieuse italienne du XVIIIème siècle qu’on entend retentir dans une version enfantine, à la fin d’Il Mio Corpo. Un principe que Michele Pennetta reprend à son compte pour articuler son film, tenu en équilibre sur une ligne de crête entre fiction et documentaire, et composé sur deux lignes narratives parallèles. D’un côté Oscar, adolescent coiffé d’une coupe à l’iroquoise de footballeur, chaque jour sommé d’aider son père ferrailleur à récupérer de la taule dans les décharges siciliennes, en compagnie de son frère aîné, lui aussi déscolarisé. De l’autre Stanley, migrant nigérian d’à peine 20 ans, qui survit en accomplissant diverses besognes pour un curé (du ménage de l’église au travail de berger) tandis que son meilleur ami tente d’obtenir un titre de séjour, sans succès. Qu’ont donc en commun ces deux jeunes hommes, « personnages » extirpés dans l’agrégat du réel par Pennetta ? Beaucoup, suggère le réalisateur transalpin. Car au fond, Oscar et Stanley forment les deux faces d’une même pièce. Naufragés de la société de consommation, ils sont deux frères du sous-prolétariat mondialisé qui s’ignorent. Sans horizon. « On pourrait te remplacer par un Noir ça ne ferait pas de différence », assène le père d’Oscar à son fils. Derrière la saillie raciste du ferrailleur, un fond très juste : son rejeton partage avec son alter ego africain une lassitude pour un quotidien déshumanisant, rivé à des gestes mécaniques. « C’est pas toi qui remplit le frigo c’est la camionnette » ajoutera le paternel, là encore lucide malgré lui.
Rares sont les épiphanies dans cette geôle à ciel ouvert. Et quand elles surviennent, ce ne peut être que sous la forme narquoise d’un miracle de seconde main : l’élévation d’une poussiéreuse statue de Madone arrachée aux décombres par un treuil de fortune. Le misérabilisme pourrait guetter Il Mio Corpo, tout comme l’artificialité d’une structure duale par trop plaquée sur le réel. Mais ces deux écueils du dispositif achoppent sur la justesse d’un regard jamais surplombant. Ses longs plans-séquence, loin de se borner à asphyxier les protagonistes, ouvrent des brèches lumineuses dans l’air pesant, comme cette échappée en vélo des deux frangins siciliens, la crête au vent, ou cette virée sensuelle en club des amis nigérians – qui peut-être sont des amants. L’électricité naturaliste qui se dégage d’Il mio corpo, tend à s’effilocher en cours de route mais tout frustrant qu’il soit, ce léger surplace narratif traduit avec honnêteté l’essoufflement désespéré d’Oscar et Stanley. Leur vie tournant en boucle. Cette stase aride glisse doucement vers une atmosphère plus irréelle, un temps suspendu fertile en visions pastorales, presque mythologiques, au milieu des ruines, et captées gracieusement par Paolo Ferrari (disciple du grand chef opérateur Vittorio Storaro), entre chien et loup. C’est dans cette enclave fictionnelle que se fera, ou pas, la jointure fraternelle entre les deux faces du diptyque. Mince réconfort que seuls les rêves et la fiction permettent, à défaut de réelle épiphanie.