Vincent CASSEL : « Partir à Rio, c’était l’idéal »

– Interview : VINCENT CASSEL –

Ces jours-ci, il est à l’affiche de Partisan, excellent premier film d’un réalisateur australien de moins de 30 ans. Mais pour l’éternité, Vincent Cassel reste quand même Vinz, certifié premier comédien rap de l’Histoire du cinéma français. Ça tombe bien, on fête les 20 ans de La Haine. Par Jean-Vic Chapus – Illustrations : Iris Hatzfeld
Récemment, Mathieu Kassovitz s’est dit prêt à tourner La Haine 2. Est-ce que la société française dépeinte dans ce film est pire ou meilleure qu’aujourd’hui ?
Bon, d’un côté, c’est bien que ce film soit encore d’actualité. Mais d’un autre, quel dommage qu’il y en ait encore qui pensent : « Putain, La Haine, c’est actuel ! » L’intégration se passe de plus en plus mal dans ce pays, la jeunesse est mise au rencard, tout le monde se fout d’accorder des crédits pour la politique de la ville, et les banlieues en particulier. Donc, savoir si c’est pire aujourd’hui qu’il y a vingt ans, je vous réponds que oui, c’est pire. Nettement pire, même…
Vous avez l’impression que l’image de la jeunesse de banlieue aujourd’hui s’est plus dégradé qu’à l’époque de La Haine, ou quand votre frère rappait Le futur que nous réserve-t-il ? avec son groupe Assassin ?
Je ne vais pas jouer au nostalgique, mais dans les années 1990, c’était déjà tendu, sauf qu’on sentait encore un peu d’espoir. À travers le rap, à travers les mouvements venus de la rue. C’était la première fois que nos préoccupations générationnelles commençaient à toucher un public plus large que celui des concerts de hip-hop. Il y avait des hauts parleurs pour ça : les disques de NTM, d’Assassin, d’IAM, les sketches de Jamel Debbouze sur Radio Nova ou les films comme La Haine et Ma 6-T va crack-er. Et en seulement quelques années, le truc s’est dilué dans la masse.
Récemment, une exposition a célébré les années 1990, mais aussi la trace que cette décennie a laissée dans la société, au cinéma, dans la politique, le hip hop, etc. Qu’est-ce qu’il vous reste de cette époque ?
Les graffs, les potes qui font des freestyles sur un terrain vague, l’énergie de la bande, Kassovitz, NTM, Assassin. C’était ma jeunesse, mais une partie a sans doute été récupérée trop vite. Peut-être même qu’on a galvaudé le fond du message. La pub et les médias ont transformé la fraicheur des années 1990 en quelque chose de commercial, limite bourrin et stéréotypé. La preuve, tu es passé de La Haine au film Les Kaïra. Et finalement, à quoi ça te sert de voir une poignée de crétins à qui l’industrie demande de faire « wesh, wesh » sur l’écran ? À rien ! À part certainement à renforcer les préjugés de certains…
Si vous aviez de nouveau la vingtaine dans les années 2010, où iriez-vous chercher votre underground ?
Aujourd’hui beaucoup de choses se passent sur Internet. Tout est là : les bons disques à télécharger, la culture, les initiatives citoyennes qui ne passent jamais au 20 h à la télé, les artistes… Donc l’underground, comme vous dites, il s’est répandu sur le web, c’est même un cliché de dire cela. Maintenant, j’avoue que je ne sais pas toujours comment faire le tri dans toute cette masse d’informations qui me saute à la gueule, les tweets, les statuts Facebook, les alertes Google. J’essaie d’expliquer à mes gosses l’essentiel des pièges qui existent aussi sur Internet : éviter de tomber dans la manipulation.

Ma jeunesse a sans doute été récupérée trop vite. La pub et les médias ont transformé la fraicheur des années 1990 en quelque chose de commercial, limite bourrin et stéréotypé.”

La manipulation, c’est-à-dire ?
Sans doute parce que tout nous pousse à réagir dans cette société de façon extrêmement viscérale. Trop viscérale, même. Et quand on réagit viscéralement, on fait des conneries, on en écrit pas mal aussi. Quand je suis alerté, minute par minute, par la traque des terroristes dans l’histoire de Charlie Hebdo, je suis fasciné, mais effrayé aussi. C’est un truc de pure adrénaline et, à l’arrivée, on ne fait jamais le point. De plus en plus, on nous balance des écrans de fumée dans la tronche, toute la journée. L’idée, c’est de retenir notre attention sur des trucs sans intérêt, voire complètement cons : on parle des affaires du Président et de sa maîtresse, on nous fout des histoires de Soral et de Dieudonné. La quenelle devient un problème national. On nous parle des symptômes, mais rarement du virus. Dans les médias, je n’entends jamais parler du pourquoi, mais toujours du comment…
Puisque vous dites vous méfier des gros médias, quelle utilisation faites-vous des réseaux sociaux, Twitter, Facebook ?
Je m’en sers bien sûr, mais j’essaye de ne pas prendre tout ce qui en sort pour argent comptant. Prenez Facebook : en additionnant les utilisateurs de Facebook, on obtient le troisième pays du monde (sic). Et c’est un pays parfois hyper réac’ où l’on retire la photo d’une femme en train d’allaiter parce que c’est une atteinte à la pudeur. En revanche, on laisse traîner ici ou là des vidéos de décapitation. Un jour, par hasard, je tombe sur l’une des vidéos de l’État islamique. Celle où ils prennent leurs couteaux et exécutent plusieurs prisonniers. Atroce. Du coup, j’appuie sur le bouton pour signaler le contenu violent de ce truc : « Cette vidéo n’a rien à faire là. Il y a des enfants qui peuvent tomber dessus, etc. » Et là, deux jours plus tard, je reçois un message de l’équipe de Facebook : « Merci de nous avoir prévenus de l’existence de la vidéo de décapitation des Syriens. Nous l’avons regardée. Mais elle ne choque en rien les chartes de notre communauté… » Et là, tout d’un coup ça me fait une électrocution. Si le troisième pays du monde, Facebook, n’est pas plus que cela gêné par ce qu’ils laissent passer comme images vraiment hardcore, alors moi je ne comprends rien. En laissant des vidéos comme celle-là, la conséquence c’est qu’on va voir de plus en plus de mômes péter les plombs et partir faire le djihad sans savoir vraiment pourquoi.
Depuis quelques années vous vivez à Rio et, lors d’une interview, vous avez déclaré que pendant la Coupe du monde, vous supporteriez en priorité l’équipe du Brésil. Vous pouvez nous raconter comment vous avez vécu ce mardi 8 juillet 2014, quand la Seleçao s’est pris 7 buts contre l’Allemagne ?
J’étais en Italie le jour du match, pour tourner le prochain Matteo Garrone (réalisateur de Gomorra, ndlr). J’avais invité quelques potes, sauf que moi, dans cette histoire, le foot ça ne m’intéresse pas du tout. Le seul truc qui me faisait vibrer, c’était le destin du Brésil, l’influence sur le développement du pays. Et finalement, on a assisté à une putain de souffrance… Ça m’a foutu hors de moi. Ce match, je l’ai vécu comme si on m’infligeait cette défaite à moi seul. Je n’ai même pas voulu le regarder jusqu’au bout. Après la première giclée de buts, j’ai dit : « Bon, allez ! On éteint le poste, on reprend une vie normale ! » J’ai sans doute gueulé, balancé des coups de pompes, mais ça m’a juste foutu le cafard… On n’avait pas besoin de cette défaite.

Normalement, un acteur français qui réussit part à Los Angeles, New York ou Londres. Qu’est-ce que le choix du Brésil raconte de vous ?
Le Brésil colle à ma mentalité. Je suis un mec qui aime marcher dans les rues sans but précis, m’arrêter dans les cafés, parler avec les gens que je croise. Et puis, l’Amérique du Sud, c’est là où il y a de l’excitation, des nouvelles scènes artistiques. De toute façon, qu’est-ce que j’irais faire à Londres, qui déprime, ou à Los Angeles, une ville que je trouve excitante mais où tout est quand même trop basé sur le paraître, le business ? Partir à Rio, c’était l’idéal. Depuis mes 7 ans, quand mon père m’a emmené voir ce film, Orfeu Negro, je me suis mis à fantasmer cette ville. Pour les images, mais aussi et surtout pour la musique.
L’image que l’on a de vous, c’est celle d’un Vincent Cassel hip-hop, mais finalement vous êtes un homme de musique brésilienne ?
Avant toute chose, oui. Le rap et le rythme, c’est la grande partie de mon adolescence, mais à l’origine moi c’est Caetano Veloso, Gilberto Gil, Antonio Carlos Jobim bien sûr, et des chanteuses incroyables comme Gal Costa. J’ai rencontré beaucoup de gens de ce mouvement là-bas. À travers un ami à moi, j’ai eu la chance de rencontrer la première épouse de Caetano Veloso, Paula Lavigne. Elle est actrice, productrice, et surtout c’est elle qui a permis à tous ces musiciens, disons, un peu détachés des histoires de fric, de signer des contrats qui leur ont permis d’assurer leurs arrières. Paula, c’est aussi elle qui m’a permis de réaliser un rêve. Plusieurs fois, je me suis retrouvé dans une pièce avec tous ces gens que j’admire. Il y avait Caetano, Seu Jorge, etc. Après qu’on a passé une soirée sans doute arrosée, ils m’ont proposé de taper un bœuf. Avec moi aux percussions. Grand souvenir… Propos recueillis par JVC