Jardin d’été de Shinji Sōmai

Par Adrien Roche

Il y a quelques années encore, Shinji Sōmai frôlait le statut d’inconnu en Occident. Il aura fallu attendre les ressorties de Déménagement et Typhoon Club en 2023 et 2024 pour que le cinéaste se rapproche de la notoriété qu’il mérite – si l’on excepte la rétrospective que lui consacrait la Cinémathèque en 2013. Malgré ces événements, les autres longs-métrages de Shinji Sōmai demeurent confidentiels. Une anomalie qui devrait être en partie corrigée par la ressortie du plus chaleureux d’entre eux, dans une splendide version restaurée en 4K : Jardin d’été.

Tout débute dans la boue d’un terrain de foot. Une séquence nerveuse, avec une caméra à l’épaule malmenée. Les trois jeunes protagonistes sont rapidement identifiés, et ont chacun une caractéristique attirant les moqueries de leurs camarades. L’un est en surpoids, l’autre fluet, le dernier affublé de jolies lunettes rondes. Sur le chemin du retour, le premier raconte les funérailles de sa grand-mère sans en saisir le sens profond. Kiyama, le narrateur tourmenté par l’image des cendres de la défunte, n’arrive pas à s’endormir. Le troisième enfant, lui, invente des métiers au père qu’il n’a jamais connu : tour à tour pompier puis détective, il est le héros chimérique d’un garçon en manque de repères. Cette obsession de la mort les pousse à espionner un vieil homme vivant dans une maison délabrée. Leur objectif : être les premiers à le voir mourir.

Ce que le soleil révèle

Avant le premier contact entre les deux générations, Shinji Sōmai s’autorise une parenthèse mystique caractéristique de son cinéma : lancé à la poursuite du vieil homme, l’un des enfants se perd dans un hôpital labyrinthique, dont les draps blancs surexposés pendent au milieu des chambres façon train fantôme. Cette matérialisation du décalage entre l’enfance et la mort se retrouve dans les mouvements vifs de la caméra, laquelle épouse la frayeur du jeune garçon. Et puis, le film s’apaise. Les coupes s’espacent, les plans s’étirent, parfois jusqu’à saisir en une seule prise des actions séparées de plusieurs jours. Le vieil homme devient un allié : il leur offre de précieuses leçons de vie ; en échange, ils retapent sa maison. Il leur achète une pastèque, et l’un des trois traverse tout le quartier pour trouver de quoi la couper. Il leur donne des surnoms moqueurs, ils l’appellent grand-père. Il lance une bataille d’eau, ils retrouvent pour lui un amour perdu. La mise en scène évoque Ozu, dont Sōmai partage la science du cadre. Mais ici, le formalisme s’efface derrière une vitalité organique : arrachage d’herbes sèches, dégustation de pastèque juteuse, transpiration au soleil… Chaque geste semble saisi dans son élan le plus vrai, grâce à une direction miraculeuse des jeunes acteurs à la Kore-eda, comme si le cinéaste s’était fondu dans leur été. Jardin d’été est autant une ode à l’insouciance de la jeunesse qu’à la sagesse des aînés. Le lien intergénérationnel trouve sa sève lorsque « grand-père » confronte pour la première fois le trio à la réalité de la mort : le vieil homme se livre et partage ses souvenirs de la guerre, dans ce qu’elle a de plus pathétique et cruel. Une guerre qui aurait pu éteindre toute forme d’amour s’il ne leur avait pas confié son histoire. Ce partage, fragile et lumineux, fait de ces enfants les porteurs d’un avenir possible, enraciné dans un été vibrant, au milieu des papillons et des cosmos multicolores.

Jardin d’été, en salles le 4 juin.