Le Gang des Amazones de Melissa Drigeard

Par Tara Canillac

Des femmes. De l’amitié. Des armes, factices pour la plupart. Mais une violence qui ne l’est pas. Ni celle que l’on croit. Au nord-ouest de la Provence française du début des années 90, cinq femmes braquent sept banques. Très vite, la presse les surnomment  « le Gang des Amazones ». Fatiha dite Katy (Lyna Khoudri), sa sœur Malika (Kenza Fortas), Hélène (Izïa Higelin), Laurence (Laura Felpin), et Carole (Mallory Wanecque). Cinq amies d’enfance, dont deux mères de famille. Le film s’ouvre sur Katy, dont le charisme s’impose dès le plan-séquence inaugural : un regard habité, qui pose immédiatement le ton. Puis les autres personnages apparaissent à travers des fragments de leur quotidien. Mélissa Drigeard s’inspire ici d’une histoire vraie : entre 1990 et 1991, ce gang féminin a réellement existé, et ses anciennes membres sont encore en vie. Pour son quatrième long-métrage, la cinéaste choisit de revisiter ce fait divers en drame, sans renoncer à quelques pointes d’humour. Le film repose sur un contraste visuel et symbolique constant. Les scènes de vie commune, baignées de lumière naturelle, alternent avec des moments de tension où les visages se ferment, où l’ombre envahit les cadres. Cette dichotomie se retrouve chez les personnages eux-mêmes : des mères de famille qui se transforment en braqueuses, des amies loyales qui franchissent la ligne de la légalité. Lumière de l’affection, ombre des choix désespérés : c’est dans cet entre-deux que le film trouve sa force. 

Intentions et justice

Le film refuse de poser une frontière nette entre bien et mal. Les braquages ont eu lieu, les victimes existent, et la culpabilité des Amazones ne fait pas de doute. Mais Mélissa Drigeard choisit d’explorer ce qui se joue derrière l’acte criminel : les dettes qui s’accumulent, la peur de perdre un toit, l’instinct maternel. Ces éléments n’excusent pas, mais ils déplacent le regard. Par des choix précis de mise en scène – comme celui de montrer un avocat détailler sa stratégie à sa cliente – le film installe une sincérité rare. Il ne cherche pas à justifier ni à manipuler, mais à rendre visible cette zone grise où se mêlent faute et vulnérabilité. Et dans ces teintes de gris, se terrent des histoires, des parcours, qui atténuent les torts de ceux qu’on juge criminels. Le scénario et le montage parviennent à restituer toute cette complexité : savoir à quoi s’attendre, entendre que c’est la facilité de tenter de remettre la faute à sa condition sociale, tandis que d’autres, dans des cas similaires, ne cèdent pas à la délinquance. Mais toujours vouloir leur pardonner, les comprendre, ces femmes ou ces gens, qui y ont cédé. Croire en leur rédemption. Cela ne signifie pas qu’il faut accorder pardon et liberté à tous ceux qui risqueraient la prison, mais que la justice punitive n’est pas fatalement la solution la plus adaptée. On pense alors à Je verrai toujours vos visages (2023), qui défendait l’idée d’une justice réparatrice face aux limites du modèle punitif. Comme dans ce film, Le Gang des Amazones pousse à réfléchir non seulement à la sanction, mais aussi au sens qu’on donne à juger : punir, oui, mais aussi comprendre ce qui conduit à franchir la ligne. Et pour ce faire, la fiction est la meilleure option. Un documentaire sur l’affaire a déjà été réalisé en 1998 (Que personne ne bouge) et met de la distance, que seul le format fictionnel peut réduire. Et Drigeard l’avait très vite compris : « Je leur ai expliqué tout de suite que c’était une fiction. J’avais envie d’être le plus proche possible de leur histoire. »

Le Gang des Amazones, en salles le 12 novembre