Lettres siciliennes de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza

Par Yohann Chanoir.

Dans ce film, deux princes siciliens s’opposent. Catello est le roi déchu. Ex-proviseur, ex-maire, Catello vient de purger une peine de prison. Il a tout perdu. Son projet hôtelier est à l’abandon. Ses ex-courtisans rient de lui. Sa fille est enceinte du concierge. Comme la déchéance appelle la vengeance, il accepte la proposition des services secrets italiens de faire tomber un autre roi, le parrain Matteo. Caché dans une petite maison, ne communiquant plus que par lettres avec l’extérieur, fugitif traqué, il est un roi dont le nom ne fait même plus peur. Il vit dans l’ombre, dont celle de son père récemment disparu. Ce n’est pas pour autant un roi sans divertissement. Car il occupe son temps à construire un puzzle sur la Sicile, mise en scène évidente de son ex-royaume désormais réduit à un simple jeu de société. Entre l’homme de paille de la mafia et son chef naît alors une correspondance épistolaire. Le courtisan y flatte le parrain, le compare à son père, pour l’attirer dans un piège et le faire arrêter. 

Inspiré librement d’une histoire vraie, Lettres siciliennes n’est pas filmé comme un énième long-métrage sur la mafia. Les scènes de violence sont rares et rapides. Le parrain échappe à tout romantisme. Ce film, dans son intrigue et dans sa mise en scène, relève davantage d’une pièce de théâtre. Chacun des deux personnages principaux joue un rôle bien balisé. Catello aspire à redevenir celui qu’il n’est plus. Matteo rêve d’être celui que son père avait choisi pour lui succéder, bien que cadet. Seules les figures féminines, fortes et cyniques, (la secrétaire et la sœur du parrain, la policière) s’avèrent capables de sortir du cadre et de tirer leur épingle du jeu. La géographie s’inscrit dans cette partition figée. Les réalisateurs ont multiplié les images de lieux abandonnés ou inachevés, dont l’hôtel de Catello, montrant une Sicile bien loin d’une image de carte postale, gangrénée par la mafia jusque dans la pierre et la terre. Le film offre ainsi une réflexion sur la place des mafieux dans la Sicile d’aujourd’hui. Sont-ils des vestiges d’un monde en train de disparaître ? Sont-ils conservés par des institutions, comme les services secrets, pourtant censées les combattre ?

La très belle séquence finale nous laisse sur cette interrogation. Dans un musée, Catello découvre le parrain sous une vitrine comme le sont les statues antiques présentées. Est-ce un cauchemar éveillé suggérant la peur du traître ? Est-ce pour rappeler que, comme le statuaire de l’Antiquité, l‘organisation criminelle est un élément fondamental de la culture italienne ? Ou est-ce plutôt pour nous indiquer que la page de ces lettres siciliennes est désormais bel et bien tournée ?

Lettres siciliennes, en salles le 16 avril.