Nouvelle Vague de Richard Linklater
Ouvertement nostalgique, joyeux, joliment anecdotique, la friandise de Richard Linklater sur le tournage d’À bout de souffle est un pur moment de joie cinéphile. Vingt journées parmi des figures mythiques, semblant renaître, vierges de toute comparaison, par la grâce d’un casting impeccable. Retour en arrière. Par Benjamin Cataliotti
Ô toi, spectateur branché sur le chaos du monde contemporain, toi l’allergique à la nostalgie pelliculaire en format carré et qui veut se jeter à la flotte à chaque fois qu’on lui parle de Jules et Jim, de Bazin ou de la vérité vingt-quatre fois par seconde, toi, l’ami réfractaire aux cartes postales d’À bout de souffle : passe ton chemin. Si vous n’aimez pas Godard, si vous n’aimez pas les films de bande (à part), n’allez pas nécessairement vous faire cuire vos œufs de poules bio élevées en plein air, mais évitez le nouveau Linklater. Oui, ça s’appelle Nouvelle Vague, et de la Nouvelle Vague, il est intégralement question ici – et on aura compris qu’il ne s’agit pas d’un remake formaliste radical de Brice de Nice, mais bien de l’épopée critique de la bande à Chabrol, Varda et tutti quanti. Plus précisément, resserrant vite son propos autour de Jean-Luc Godard et de ses iconiques lunettes noires, le film se propose de retracer quasiment jour après jour (quitte à céder à une certaine linéarité), le tournage ô-combien iconoclaste d’A bout de souffle, film mythique s’il en est, et à propos duquel il n’est pas nécessaire d’avoir fréquenté les vapeurs transpirantes des écoles de cinéma pour savoir qu’il a révolutionné son art, libérant des générations de cinéastes par son sens du rythme et son irrévérence.
Alors, est-ce que la magie opère ? Qu’est-ce qu’un cinéaste texan comme Linklater peut avoir à dire sur un tournage dont les anecdotes mille fois déformées suffiraient à rédiger un nouvel évangile ? Prétendant filmer à la manière du chef d’œuvre dont il fait la chronique, Linklater parvient-il à en retranscrire l’inouïe créativité ? La réponse est : non, évidemment. Mais l’autre réponse est : qu’est-ce qu’on en a faire ? « Ce n’est pas Truffaut, ce n’est pas Chabrol… », se plaint, dans le film, le personnage de Jean Seberg à propos d’un Godard qui l’horripile. Hé bien, Nouvelle Vague, ce n’est en effet ni du Truffaut, ni du Chabrol, ni, non-plus, du Godard ; c’est du Linklater. Ne vous laissez pas endormir par son noir et blanc et sa patte années 60 (moins gadget qu’on aurait pu le craindre). Ici, les thèmes qui jalonnent la filmographie du réalisateur de Slackers, Dazed and Confused ou de la trilogie des Before – l’individu au sein d’une troupe, le bavardage en façon de vivre, la désinvolture comme émancipation – s’expriment dans ce making of rêvé d’À bout de souffle. Dit autrement, Linklater ne nous parle pas tant de la Nouvelle Vague que de « sa » Nouvelle Vague. « Son » Godard y est sans doute plus blagueur qu’il ne l’était, son Belmondo plus passif, sa Seberg plus sceptique. Adaptant un pan de cinéma, c’est la joie ressentie en découvrant l’À bout de souffle de 1960 que le cinéaste repartage à chaque plan de ce film-hommage.
Anecdotique au sens noble
« Soit tu agis, soit tu te tais », lance Suzanne Schiffman à JLG au début du film, le piquant pour qu’il se mette en action. Chez Linklater, agir, c’est tout faire pour ne pas avoir à se taire. Mais s’il est en effet bavard, le Godard que compose avec grâce Guillaume Marbeck n’en reste pas moins actif. Ses déplacements et son bartelbysme scandent la marche d’un film qu’on regarde avec un sourire d’autant plus grand qu’ici tout est léger, tout est gratuit. Anecdotique au sens noble du terme, Nouvelle Vague déploie son programme avec zèle : faire revivre pour un temps concentré des figures légendaires, d’autant plus belles qu’elles portent le visage de la virginité. C’est la plus belle idée du film : ce casting composé quasiment intégralement d’inconnus, donnant, de fait, l’impression de les découvrir pour la première fois. Une véritable renaissance que souligne à chaque nouvelle apparition d’un personnage un plan moyen sur ce dernier, regardant la caméra, l’air de dire : oui, je suis Jacques Rivette, oui, c’est bien moi, Raoul Coutard. Certains accuseront ces portraits de n’être que des vignettes Panini de la cinéphilie. Pour notre part, acceptant le tour de passe-passe, nous étions joyeusement en larmes.

Nouvelle Vague, en salles le 8 octobre.