Peaches Goes Bananas de Marie Losier
17. C’est le nombre d’années qu’il aura fallu à Marie Losier pour façonner ce portrait documentaire aussi rock que sensible de la chanteuse Peaches, icône queer et féministe à la créativité explosive. Place aux paillettes et au stupre. Par Julie Mengelle.
« Vaginoplasty / Why do you ask me? / Vaginoplasty / I keep it nasty » Dès l’ouverture, le ton est donné. La silhouette de la chanteuse canadienne baigne dans une lumière chaude colorée tandis qu’elle déclame face caméra le refrain de son morceau Vaginoplasty. Comme un agréable parfum de trouble dans le genre… Pour qui ne connaîtrait pas encore la musique de Peaches, c’est un beau portail d’entrée, avec un écrin 16 mm à la fois doux et sulfureux. À la façon des précédents portraits de Marie Losier, celui de la rockeuse ne déroge pas à la règle : c’est d’abord la singulière excentricité avec laquelle Peaches se met en scène qui offre un prérequis au film. La joie que la chanteuse dissémine dans ses performances fournit une matière de choix, avec des costumes ostentatoires mais non moins exaltants, composés de vulves et nibards démultipliés. Losier vit l’expérience in vivo, tantôt dans le public et parfois carrément sur scène, avec un dispositif lui permettant de filmer toujours avec une plus grande liberté et au plus près des corps en mouvement. La cinéaste réinjecte ensuite cette énergie jubilatoire dans des mises en scène oniriques qui témoignent de l’enchevêtrement de leurs deux vitalités artistiques – par exemple cette orgie culinaire en studio avec une grande tablée des délices, qui n’est pas sans rappeler Felix in Wonderland et sa table de chirurgie. S’ajoute à cette savoureuse recette quelques images de backstage et d’archives habilement montées par Aël Dallier-Vega – parmi lesquelles les enfants d’un centre aéré déguisés en Frankenstein ne manqueront pas d’évoquer en miroir les jeux costumés auxquels se prêtent les deux artistes dans leur travail.
Le feu sacré de l’amitié
Il y a aussi mais surtout comme préalable une histoire d’amitié, composante indispensable de l’aventure. Les deux femmes se rencontrent en 2006 tandis que la réalisatrice est à Bruxelles pour filmer Genesis P-Orridge (La Ballade de Genesis et Lady Jaye). Une amitié en faisant naître une autre, les destinées filmiques s’entrecroisent et tissent des liens en étoile. Fidèle camarade, Marie Losier relève le défi d’être présente aux rendez-vous de la vie que lui fixent ses personnages, tant sur scène que dans l’intimité. Avec Peaches, il est question de l’évolution d’un corps, la chair qui se modèle avec les années, les variations capillaires et le choix des costumes… Autant d’éléments qui racontent en creux ce que c’est de vieillir tout en continuant d’incarner ses idées. Marie Losier filme par ailleurs Suri, la sœur de Peaches, dont le corps est considérablement diminué dans ses fonctions neuromotrices. Losier observe et donne à voir sans morbidité les fragilités de ce corps, ses manques, mais aussi la façon dont il continue à vivre et à s’amuser, et déjà en cela se montre subversif. Il y a les courses en fauteuil roulant où l’on retrouve la pâte burlesque de la cinéaste, ainsi qu’une séquence particulièrement émouvante dans laquelle on découvre la chambre médicalisée de la sœur de Peaches. Tel un nouveau-né dans le baluchon d’une cigogne, Suri est soulevée jusqu’à son lit par une sorte de grue conçue pour la protéger des heurts. L’image aurait pu être purement médicale si la cinéaste n’en avait pas extrait une certaine poésie. C’est toute la superbe de Marie Losier : parvenir à saupoudrer de sa féérie un peu partout en posant un regard tendre sur les étrangetés d’un monde à vif. « Fuck the pain away, fuck the pain away. »

Peaches Goes Bananas, en salles le 5 mars.