Bernhard Wenger : « Les agences de location d’amis, c’est les réseaux sociaux, mais dans la vraie vie ! »

Actuellement en salles, Peacock, le premier long-métrage de Bernhard Wenger, suit Matthias, dont le métier est de se louer via une agence de location d’amis. Si bien qu’à force d’incarner une personne différente chaque jour, Matthias ne sait plus être lui-même dans la vie de tous les jours.  Pour cette première interview française, le jeune réalisateur autrichien nous donne rendez-vous dans un petit hôtel du 9e arrondissement de Paris. Il sort à peine du petit déjeuner et s’installe dans un salon surchargé de dizaines de couvertures du magazine de charme Lui accrochées aux murs. Des femmes en petite tenue – option oreilles de lapin ou tenues de soubrettes –  nous observent pendant qu’on parle genèse du film et cinéma. Un décor qui nous met dans l’ambiance Peacock actuellement en salles), et ses situations absurdes de la vie quotidienne.

Propos recueillis par Alice de Brancion.

Après plusieurs court-métrages multi-primés, dont  Excuse Me, I’m Looking for the Ping Pong Room and My Girlfriend, vous vous attaquez au long métrage avec un sujet très original : la location d’amis. D’où vous est venu cette idée ? 

Bernhard Wenger : J’ai découvert le sujet des agences d’amis en lisant un article dans le New Yorker en 2014. Quatre ans plus tard, quand j’ai fait Excuse Me, I’m Looking for the Ping Pong Room and My Girlfriend, des boîtes de production sont venues me démarcher. C’est à ce moment que je suis revenu sur cette idée et que je suis allé au Japon pour creuser le sujet. Je me suis rendu compte que c’est l’isolement et la solitude au Japon qui pousse les gens à louer des personnes pour aller prendre un café, discuter… Évidemment, ces agences ont très rapidement été utilisées pour d’autres buts comme se créer un statut social, cacher des secrets, manipuler des gens… 

Et puis, pendant mon séjour, j’ai rencontré une personne qui y avait travaillé et qui m’a confié qu’à force d’être quelqu’un de différent tous les jours il ne savait plus comment être lui-même. J’ai pris cette problématique comme base de travail.

C’est une histoire individuelle – celle de Matthias – mais également universelle : la recherche de soi et l’envie de se présenter sous son meilleur jour pour avoir l’approbation de ses proches, ou du plus grand nombre. 

Tout à fait, la recherche de soi-même est un vrai sujet pour beaucoup de jeunes aujourd’hui.  

Lorsqu’on regarde les réseaux sociaux, tout le monde se présente du mieux possible, c’était de ça dont je voulais parler : ce besoin permanent d’approbation. Les agences de location d’amis ont les mêmes ressorts que les réseaux sociaux, mais dans la vraie vie.  Mon film pourrait être un film tragique sur la fausseté de notre société et combien on ne sait pas où aller et quoi faire dans notre monde contemporain. Mais je pense qu’il faut quand même rester optimiste, et avec le cinéma c’est possible. Pour moi, faire rire est un acte politique. 

Comment définiriez-vous votre humour ? 

J’essaye de trouver un équilibre. L’humour dans les films d’auteur est souvent très cynique, alors que celui avec lequel je travaille est l’humour avec lequel je vis : les observations de la vie quotidienne. L’autre jour j’étais assis dans le tram à Vienne et quelques sièges devant moi il y avait une maman avec deux enfants : un enfant courait partout en criant et l’autre était très sage. Évidemment tout le monde regardait l’enfant bruyant et je me suis rendu compte que celui que personne ne surveillait était en train, très calmement, de lécher la vitre de haut en bas. C’est ces moments-là qui m’intéressent. L’humour avec lequel j’aime travailler est bizarre, subtile, visuel, étrange. C’est d’abord celui de Jacques Tati, de Buñuel ou encore des photos de Martin Parr. 

Matthias est un trentenaire séduisant et, malgré tout, il semble extraordinairement passif…

J’aime les personnages principaux passifs. On ne les voit pas souvent et c’est très bizarre d’avoir un personnage principal passif. Albrecht Schuch, qui incarne Matthias, dit toujours que lorsque son personnage entre dans une pièce, rien ne se passe. C’est tellement bizarre pour un personnage principal. 

Difficile pour Albrecht Schuch de jouer un personnage mou et sans charisme ?

Albrecht Schuch est vraiment un acteur incroyable, on a beaucoup discuté du personnage, du scripte en amont et on a essayé de trouver la manière de représenter cet étrange personnage principal. On ne voulait pas qu’il aborde son travail comme n’importe quel travail de bureau, ça aurait été trop comique, trop grossier. On a voulu montrer combien Matthias est absolument parfait pour ses clients, de quelle manière il réussit à mettre en avant les personnes qui paient ses services d’une manière ou d’une autre mais que lorsqu’il rentre chez lui c’est exactement pareil, il n’y a pas beaucoup de différence. C’est un personnage qui a perdu la capacité à ressentir de vraies émotions et c’est quelque chose qu’on devait et voulait montrer et ça c’était difficile. 
Dans le film, Matthias passe beaucoup de temps à simplement observer, à fixer.  On a essayé de définir le sens de ce regard : Est-ce qu’il est perdu parce qu’il ne sait pas ce qui s’est passé ? Parce qu’il ne sait pas comment réagir ? Ou est-ce qu’il est perdu parce qu’il ne s’est pas comment s’extirper de ces situations ? On a travaillé sur toutes ces très petites nuances.

Quel a été le travail de préparation ? 

Je ne travaille jamais dans l’improvisation. Pour moi, être réalisateur c’est 80% de préparation. Je tourne le film en entier avec une petite caméra un mois avant le vrai tournage. Avec Albin Wildner – mon directeur de la photographie – on va sur les différents lieux, je joue les personnages, pour décider du cadrage, de la lumière, pour savoir précisément quelle sera la mise en scène. Cette préparation a duré quasiment un mois – soit autant que le tournage. Ce n’est pas seulement pour décider tout d’un point de vue technique, c’est aussi pour moi, je me mets sur la scène et je « joue ». Ça me permet de voir ce qui marche, de m’immerger dans les dialogues et dans les émotions des personnages. Du coup je me retrouve parfois à jouer Matthias et sa petite amie simultanément, ou même à jouer avec une photo cartonnée à taille humaine de l’acteur.

Qu’en est-il des animaux, il y en a partout dans votre film. 

Tout le monde m’avait prévenu de ne pas le faire, et surtout pas avec 4 animaux différents. Un a cru perdre un chien, l’autre ne pouvait pas jouer ce que l’on attendait de lui. Quant au paon, il refusait tout simplement de faire la roue. Les seuls qui ont été parfaits, ce sont les canards, je les remercie de tout mon cœur.

Peacock, actuellement en salles.