Les neiges du Kilimandjaro 2011 Real Robert Guediguian Robert Guediguian. COLLECTION CHRISTOPHEL Agat Films & Cie / France 3 Cinema

Robert Guédiguian : « Le sexe est une chose dont j’ai toujours eu envie de traiter »

Jusqu’à quel point le vol, le menu larcin, peut-il être éthique voire encouragé ? C’est la question sous-jacente de La Pie voleuse, le nouveau film de Robert Guédiguian, dans lequel Ariane Ascaride incarne une assistante de vie aux drôles de manières. Rencontre avec un cinéaste qui façonne son sillon tout en tenant à se renouveler. Par Emmanuel Burdeau

L’histoire de Et la fête continue ! était liée à un événement politique, l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille, en 2018. Ici, il ne semble pas que ce soit le cas…

Non, en effet. Tout est parti d’une chose très simple. Un jour, alors que j’étais à côté de lui, mon chef monteur a reçu un coup de fil de la police lui demandant des renseignements sur la dame gardant sa mère. Cette dame venait de voler des trucs et la police enquêtait. Je suis parti de l’envie de faire un film dont le vol serait le sujet. Nous avions un point de départ : l’assistante de vie – Maria, jouée par Ariane Ascaride – vole puis se fait attraper. Comme c’est une fille bien, elle a honte, elle n’ose plus sortir dans la rue… Et après ? Il fallait trouver la suite. Avec Serge Valletti, nous avons pensé à inventer un personnage – Laurent, fils d’une personne dont s’occupe Maria – que la révélation du vol fait vriller et qui emmène le film dans une autre direction.

Il y a dans La Pie voleuse plusieurs éléments présents dans vos autres films, mais qui prennent ici une importance inédite. Le premier est la musique, à la fois celle du film et la musique comme thème, à travers le petit-fils de Maria, qui apprend le piano.

J’écoute sans arrêt de la musique. Toutes les musiques, y compris la variété. Je suis né en 1953, j’appartiens à une génération pour laquelle le rock et la pop, la chanson, ont été très importants. Pendant longtemps, je n’avais pas les moyens de me payer la musique dont j’avais envie. Maintenant, je peux. Depuis quelques années, c’est Michel Petrossian qui compose la bande-originale de mes films. J’ai l’impression que nous travaillons vraiment ensemble sur la musique, même si je n’ai aucune formation musicale ni aucune facilité pour ça. J’essaie d’utiliser la musique de telle sorte qu’elle crée cet effet d’étrangeté qu’on associe parfois à Brecht.

Le deuxième aspect sur lequel La Pie voleuse insiste, c’est le sexe. On le dit peu, mais votre cinéma peut être très sexuel.

Le sexe est une chose dont j’ai toujours eu envie de traiter, de façon plus ou moins frontale.

Que se joue-t-il entre Jennifer, qui est caissière, et Laurent, qui est agent immobilier ? Ils ne sont pas du même monde. Est-ce vraiment de l’amour ?

Ils n’ont en effet pas du tout la même conception de la vie. Mais je crois qu’il y a de l’amour entre eux. Lui, en tout cas, se prend soudain d’une passion entière pour elle. Il est prêt à tout plaquer. 

Alors que Jennifer décide de rester avec Kevin, que joue Robinson Stévenin. Cette décision se fait lors d’une scène très belle, où Kevin vient la voir à sa caisse. On pense assister à une scène de jalousie, et puis il lui sourit, et on devine que c’est grâce à ça que leur couple perdure.

Au départ, ils ne devaient pas jouer ça. Robinson était plus triste et plus en colère. Mais je lui ai demandé d’essayer une autre version, de se montrer plus amical. Plus joueur aussi, comme s’il avait en tête une stratégie de reconquête. J’essaie souvent plusieurs versions. Soit sur le coup, soit une semaine plus tard si ça ne fonctionne pas. Comme je suis mon propre producteur, je peux me le permettre, c’est précieux. De même que je n’avais pas prévu que Gérard Meylan chante « Les Enfants du Pirée »au moment de retrouver Maria, après avoir gagné au poker. Mais ça m’a plu, et j’ai donc à nouveau dû payer des droits musicaux.

Troisième et dernier élément : la moto. On pourrait croire que c’est anodin. Mais il suffit de voir avec quel soin le personnage de Gérard Meylan répare ces machines pour se dire que cela ne l’est pas. Déjà, dans Et la fête continue ! il y avait de beaux flash-back en moto…

Vous avez raison, j’aime les motos. C’est d’ailleurs la mienne, la BMW que Gérard nettoie. Je l’ai achetée quand j’avais 17 ans. C’était mon cadeau pour le bac : pas la moto elle-même mais l’autorisation d’en avoir une. Je me la suis payée en travaillant trois mois un été, payé au SMIC comme manœuvre maçon. J’ai gardé cette moto pendant cinquante ans. Mon père était électromécanicien, il l’a entretenue avec moi. Lui-même avait aussi des motos, ce qui a évidemment joué… Je l’ai récemment offerte à mon chef déco, qui est plus jeune que moi.

Vous parliez de votre envie de faire un film sur le vol…

Sur un certain type de vol. Maria ne vole qu’un tout petit peu. Elle ne vole que ce que les autres pourraient lui donner. Elle s’en veut d’ailleurs d’autant plus quand elle est prise : elle sait qu’il aurait suffi qu’elle demande. Maria est une femme très dévouée : quand elle se rend la nuit chez les gens dont elle s’occupe, par exemple, elle ne touche pas d’heures sup’. Pourquoi vole-t-elle ? Tout simplement pour rétablir un équilibre, pour faire ce que la société ne fait pas. J’ai néanmoins tenu à ce qu’elle vole aussi pour son plaisir. Pas seulement pour son petit-fils et pour la musique, mais aussi pour ses huîtres. Car les plaisirs font partie des besoins que la société est censée satisfaire. Je trouve abominable la vision bourgeoise selon laquelle les besoins ne concernent que la survie, la reproduction de la force de travail. Aller au cinéma, s’offrir un bon repas, cela aussi fait partie des besoins. La Pie voleuse pose donc tout de suite la question du vol, dès le cambriolage en ouverture, avec ce chèque qui flotte… Ça pose aussi la question du hasard, du mauvais sort. J’aimais bien l’idée de commencer de cette façon un peu incongrue. Maria ne vole pas par ambition, même pas pour permettre à son petit-fils de s’élever socialement : elle aime la musique, elle voudrait qu’il l’aime à son tour, c’est tout. Il m’arrive de dire La Pie voleuse est un film sur le pouvoir d’achat. Ce n’est qu’à moitié une plaisanterie : comment faire pour vivre, et non seulement survivre, dans la société d’aujourd’hui ? Certains vols sont justes. En droit, il existe d’ailleurs la catégorie du vol par nécessité. La Pie voleuse parle de ça.

Contrairement à d’autres de vos films, La Pie voleuse est traversé par de l’espoir.

En effet. On me demande souvent pourquoi certains de mes films sont très sombres et d’autres moins. On pense en général que c’est dû à mes changements d’humeur ou de forme morale. Pas du tout. C’est une chose que j’aime décider à l’avance. Je sais que c’est impossible mais dans l’idéal, j’aimerais alterner une comédie et une tragédie, un film où les problématiques se résolvent et un autre où elles ne se résolvent pas.

La Pie voleuse, en salles le 29 janvier.