Salve Maria de Mar Coll
Par Julie Mengelle.
Obsédée par un fait divers sordide – une mère ayant noyé ses jumeaux –, une jeune écrivaine qui vient de devenir mère, s’évertue à enquêter sur ce geste irréparable. Au prix de sa propre maternité.
Ça commence avec l’obsession d’une fenêtre qui ferme mal. Un corbeau s’engouffre à l’intérieur de l’appartement et sème la panique. Maria se précipite pour protéger son nouveau-né et dresse ses avant-bras en bouclier. Une sorte de duel chorégraphique annonciateur de la lutte intestine avec un mal plus sournois et invisible : celui de la dépression post-partum. À plusieurs reprises, la caméra s’attarde sur la fenêtre ; un surcadrage suffisamment long, tel un arrêt sur image, comme pour suggérer une émotion suspendue, le vertige de l’appel du vide. En vérité, c’est un gouffre intérieur qui happe Maria. Désorientée par l’irruption soudaine d’un petit être dans sa vie, la jeune mère est épuisée et désorientée. Elle s’occupe seule la journée de son enfant tandis que son compagnon continue de travailler et repousse le moment de prendre son congé paternité. Oscillant entre distance et survigilance, Maria peine à créer un lien affectif avec son bébé, comme si elle avait perdu l’usage de la parole, elle qui pourtant est écrivaine et sait user des mots. Quelque chose de sourd s’égosille silencieusement au fond d’elle-même et croît à mesure qu’un brouillard épais l’ensevelit.
Mauvaise mère
Un jour, le fait divers d’un infanticide capte l’attention de la jeune femme. Elle commence à collectionner les coupures de journaux qui évoquent le drame et s’hypnotise devant les actus télé. Le récit de cette mère qui a noyé ses jumeaux exerce sur elle une sorte d’attraction, un besoin de comprendre mêlé à l’intuition viscérale de porter déjà en elle la compréhension de ce geste. Pourrait-elle elle aussi passer à l’acte ? Le soir, donner le bain à son fils devient impossible, par peur d’elle-même, de la baignoire, de l’eau, de l’enfant. Une angoisse qui mélange la crainte de ne pas savoir s’occuper de son bébé et celle, plus diffuse, d’attenter volontairement à son intégrité – ce qu’on pourrait nommer une phobie d’impulsion, une peur de mal faire qui grossit et se transforme en la peur de « faire du mal ». La cinéaste aborde avec finesse et sans tabou ce sujet sensible de la maternité du point de vue d’une femme qui sombre dans un mal-être profond. Plutôt que de poser des diagnostics figés, des mots vides de leur sens, le film explore les sensations d’un trouble qui s’installe dans le quotidien d’une jeune mère esseulée. Laura Weissmahr incarne avec justesse ce personnage dont beaucoup des tensions qu’il traverse ne sont pas verbalisées. Tout passe par un visage fatigué, des yeux bleus rougis qui traduisent une détresse immense et ne trouvent pas d’écho dans le regard des autres mères qui l’entourent. Dans un élan de survie, Maria s’accroche à sa pratique de romancière et recommence à écrire. Elle se glisse dans la peau de la mère meurtrière qu’elle fantasme pour essayer d’exorciser ce qu’elle traverse, et part ainsi en quête de cette femme mystérieuse exilée dans la montagne. Seules voies pour échapper à la honte et la culpabilité, l’écriture et la fuite lui offrent alors, sinon une issue véritable, du moins la possibilité d’un appel à l’aide. Une échappée pour être sauvée et ne pas finir massacrée par l’image accablante que lui renvoie la société : à savoir celle d’une femme qui ne parvient pas être mère.

Salve Maria, en salles le 20 août.