SI LE VENT TOMBE de Nora Martirosyan
Sélectionné à l’ACID & labellisé « sélection officielle Cannes 2020 », la présentation de Si le vent tombe en avant-première a coïncidé avec l’explosion du conflit en Haut-Karabagh (Azerbaïdjan), où se déroule le film. Le 27 septembre 2020, les affrontements avaient déjà fait plus de 1000 morts côté arménien. Alors que le film sort en salles le 26 mai, retour avec la réalisatrice Nora Martirosyan sur cette situation intense, et la façon dont le film résonne désormais dans le pays. (article paru dans Sofilm n°82, nov. 2020)
Alain, un Français, doit réaliser l’audit d’un aéroport au Karabagh pour valider son ouverture prochaine. Problème : comme tout le reste du pays, le bâtiment est situé à proximité d’une frontière dangereuse… Voici pour le pitch de Si le vent tombe, premier long métrage de Nora Martirosyan, qui entre évidemment en collision frontale avec l’actualité récente. « Ce qui est dingue c’est qu’on a montré le film le 26 septembre au Louxor à Paris, la veille du conflit, retrace la cinéaste. C’était comme si ma fiction rendait encore tout cet endroit et ceux qui le peuplent plus réels. Quand les Arméniens vont voir le film pendant les avant-premières, il y a toujours des gens émus qui pleurent et disent merci. Je crois que le fait que Si le vent tombe soit proche du réel en fait une arme, et sa sélection par l’ACID Cannes a eu un impact. Le dernier film arménien à Cannes, c’est 1965. Époque soviétique… » Il aura fallu près de dix ans à Martirosyan pour que le film se fasse. Elle découvre le pays au début des années 2010, d’abord en touriste. « Je m’y suis rendue par curiosité, juste pour voir ce que c’était un pays qui récupère de la guerre. J’avais peur des mines, il y avait des endroits interdits, j’entendais des choses complètement dingues… » Elle commence alors à écrire, persuadée qu’il y a une histoire à raconter. « Beaucoup de ces éléments viennent de mes expériences, reprend-elle. La première fois que j’y suis allée, je suis venue par la route, et elles passent toutes à côté des frontières. Mon chauffeur est un ami, et à un moment, il m’a dit : “Là, baisse la tête”, pour éviter les tirs de snipers. Vu que j’ai sillonné tout le pays, je savais où j’amenais l’équipe, quels étaient les endroits à éviter. Après, évidemment qu’on a pris des risques. L’ambassade française en Arménie nous a dit : “À l’instant où vous traversez la frontière, on ne peut plus rien pour vous.” »
Une fois le film financé, le tournage est rapide et sans aucun soutien financier de l’État, pour ne pas être taxé de collusion. « On était super contents, ça se passait bien, remonte la cinéaste. Et puis le comédien qui joue le chauffeur a vu un ami à lui être tué par un tir de sniper. Le film contient cette violence mais ne la montre jamais. Il y a quelques allusions, quelques explosions insignifiantes qui ne font ni mort, ni blessé. Je ne voulais pas en faire une leçon de géopolitique… J’ai l’impression que le réel a dépassé toute fiction, de toute façon. » Indépendamment des quatre rôles principaux et de Grégoire Colin, tous les figurants sont choisis sur place. L’occasion de donner un visage à ce pays, et à ses mœurs. Il se dégage de cette approche un vrai sentiment d’intimité, d’autant plus que la plupart des acteurs et figurants ont été rattrapés par le conflit. Nora Martirosyan : « Les gars que vous voyez dans le film sont maintenant au front. Les premiers jours, on avait des nouvelles, mais vu les proportions que ça a pris aujourd’hui… il ne faut pas qu’il y ait de fuites. Tout le monde essaye d’être très responsable, de ne pas embêter, de ne pas demander… Dans mon cercle proche, normalement tout le monde est encore en vie, mais on ne peut être sûrs de rien. Quand tu lis les dates de naissance des garçons décédés… c’est des 2000-2001-2002. Des enfants. Là-bas, on boit beaucoup. Chaque fois qu’on fait des toasts, le premier est pour la paix, le second est pour ces garçons qui gardent les frontières. Si on peut encore trinquer, c’est grâce à eux. »
Le film est donc devenu malgré lui un document historique, taillant une cartographie au scalpel d’un territoire menacé : « C’est déchirant de se dire qu’il y a deux ans on a filmé, on a attrapé ce temps, ce Karabagh qui n’existe déjà plus en l’état. Et d’ailleurs, cela va au-delà : tout ce qu’on voit dans le film est en train de disparaître… »