SIMON DE LA MONTAÑA de Federico Luis

Simon a 21 ans. Il se présente comme aide-déménageur. Il dit ne pas savoir cuisiner ni nettoyer une salle de bains, mais en revanche il sait faire un lit. Depuis quelque temps, il semble devenir quelqu’un d’autre…. Par Romain Daum.

On entre dans Simon et la montagne comme dans un rêve, perché dans le paysage rocailleux de la Cordillère des Andes. Quelques ados en vadrouille grimpent sur un mausolée pour y chercher du signal wifi. Se dessine à mesure que les corps se hissent, que le sifflement du vent s’intensifie, une cartographie de l’effort et un monde dont on fait l’ascension. Puis, le temps d’un face-à-face entre Jérémie et son comparse Pehúen, les deux garçons échangent sans mot dire des tics nerveux, par mimétisme. Et ce pacte silencieux sera celui du film : Jérémie deviendra l’un d’entre eux, il tentera de rejoindre la bande de l’institut spécialisé en neuroatypies, en mimant une pathologie. L’idée est de s’inventer les symptômes pour s’arracher à sa mère et à sa classe sociale. Les décors se succèdent : l’institut spécialisé, où Jérémie se faufile entre les mailles du filet ; la piscine et ses vestiaires, où Jérémie se fond dans le groupe. Sur le plateau de théâtre, adapté à la parade amoureuse. Là, un parterre d’ados admiratifs regardent un Roméo et une Juliette pleins d’assurance, et se regardent eux-même à travers les autres. Pehúen essaye de dire cette connexion, en déclarant peu après sa flamme à une Juliette redescendue des planches : « Essaye de me comprendre, je ne joue pas. » Cette traversée du regard des autres devient alors l’itinéraire du film. 

Le mur du son

Il y a des films qui tiennent tout entiers dans leur idée de mise en scène : ici il s’agit de faire corps ensemble, de partager les soubresauts de l’âge ingrat. Dans une scène inaugurale Jérémie essaye l’appareil auditif de Colo et se met soudain à entendre comme elle, moment tellement précieux qu’elle lui fait don de cette ouïe en toc. On découvre alors un son en anamorphose qui retranscrit la perception de Jérémie. Suivant les vibrations de l’appareil, des griffures sonores viennent déranger toute tentative de communication avec le monde adulte. Réverbération, saturation, vocodeur : dès que Jérémie fait face à sa mère ou au directeur de l’institution, le mixage fait déraper le monde de l’institution puis de la maison. Fi des bandes-sons éthérée du teen-movie atmosphérique : Federico Luis compose une partition pour guitares électriques, et l’âge adulte ici est un amplificateur mal branché. Jérémie se met à en user et en abuser comme d’un pouvoir extra-sensoriel, pour mieux pirater les contours des espaces qui voudraient le remettre à sa place – dès qu’il veut il appuie sur la molette et tout se dérègle. Dans plusieurs scènes, une envolée musicale révèle aussi un espace d’harmonie dans la bande-son. D’abord installé dans une salle de cinéma, Pehúen et Jérémie discutent du niveau de dangerosité des médicaments, dont apparemment il ne faut pas abuser : sur ces mots un thème orchestral s’élève, prégnant et euphorique, issu du hors-champ. Ce qui compte n’est pas tant ce qui se dit, que la chorégraphie de l’image et la bande-son du rapprochement. La caméra de Federico Luis, souvent portée mais toujours ancrée par un jeu d’acteur ultra physique, donne à voir une représentation épidermique de la rencontre. Comme le grain légèrement flou de la peau des adolescents, le flou ici c’est celui d’un gamin qui passe à l’âge adulte en redessinant ses propres contours, en trouvant sa propre longueur d’onde.

Simon de la montaña (Semaine de la critique), prochainement en salles.