Sous hypnose de Ernst De Geer

Par Romain Daum.

« Je n’achève jamais aucun projet. J’ai l’impression d’être la spectatrice de ma propre vie. » À l’époque, c’était Renate Reinsve dans Julie en 12 chapitres qui lançait ces répliques inoubliables. Les mots d’une génération, au début des années 2020, qui respirait un air post-Covid avec envie et gravité en se demandant quelle place elle pourrait bien trouver dans le monde. Où en est aujourd’hui cette génération dans sa quête d’un avenir meilleur ? Toujours chez les Scandinaves, Ernst De Geer se propose à son tour de se pencher sur la question.

Vera et Andre, deux trentenaires pimpants, montent leur start-up avec entrain et conformisme. On les suit durant un week end où ils participent à l’incubateur Shake Up : après des ateliers et entraînements, ils doivent pitcher leur projet et remporter l’adhésion des investisseurs. Évidemment, tout est risqué. Ils jouent leur avenir professionnel devant un parterre d’entrepreneurs à oreillettes, mais aussi la survie de leur couple – et la séance d’hypnose effectuée par Vera avant le voyage ne va pas aider. La satire de l’entrepreneuriat éthique fonctionne à plein régime et les dialogues parfaitement ciselés rendent les situations jubilatoires. Comédie de mœurs réalisée avec brio, Sous hypnose décortique ces mondes faits de sosies de Steve Jobs. L’écriture est incisive et fine, portée par des dialogues piquants qui n’oublient jamais de mettre en émulsion le vrai sujet du film : le couple et ses turpitudes.

Scènes de la vie entrepreneuriale

Dès le premier plan, le film annonce son impitoyable acuité : Eva est face caméra, récitant avec le plus grand naturel son anecdote illustrant l’origine de leur application miracle. La start-up propose une solution d’accompagnement de la santé féminine et reproductive aux femmes des pays en voie de développement, et tout est fondé sur l’hémophilie de Vera, découverte ado. Les impros déliées de la comédienne Asta Kamma August, qui joue la désinhibition sociale totale entraînée par la thérapie à l’hypnose, donnent parfaitement le ton de ce couple très moderne et pourtant indécis. Herbert Nordum, qu’on avait laissé en amant égaré chez Joachim Trier (Julie en 12 chapitres), continue de prouver sa grande maturité de jeu. Il aurait été facile de jouer la carte de la masculinité en crise du XXIe siècle avec ce personnage, mais c’est tout l’inverse qui se produit. Récompensé du prix du meilleur acteur à Karlovy Vary, Nordum se distingue de par un équilibre astucieux entre la comédie et le rôle de composition plus grave. Entre les éducations sentimentales de Monia Chokri et les Souffrances du jeune Werther sous Xanax, la mélancolie du couple est sublimée par ce grand romantique sous antidépresseurs. Entre masculinité à réinventer et affirmation de soi, le comédien esquisse en quelques scènes un personnage perdu, et pourtant profondément aimant. Devenir soi-même, seul ou en couple ? C’est sur cette question sans réponse que se clôt le film, en musique, reprenant un tube doux-amer d’une autre décennie (Tell No One About Tonight). Et le souvenir de cette scène de danse suffit pour faire de Sous hypnose un coup de cœur instantané.


Sous hypnose, en salles le 25 juin.