Un poète de Simо́n Mesa Soto
En 2021, Simón Mesa Soto se révélait à la Semaine de la Critique avec Amparo, son premier film resté inédit dans les salles françaises. Le cinéaste colombien revient à Cannes avec Un poète (Un Certain Regard), satire sociale aussi féroce que jubilatoire. Par Loris Dru-Lumbroso.
Au grand loto de l’univers, Oscar n’a pas tiré le bon numéro. Depuis sa brève reconnaissance au siècle dernier pour ses premiers recueils, la vie lui a bien roulé dessus. Veule et désabusé, ce poète vieillissant et vaguement alcoolique au physique ingrat est désormais SDF à temps partiel, quand il ne crèche pas chez sa mère. Pire, sa femme l’a quitté et élève seule leur fille, qui ne souhaite plus lui parler. Pour retrouver grâce à ses yeux et lui payer l’université, il accepte un job de prof de philosophie dans un collège puis prend sous son aile une jeune élève désargentée mais inspirée, Yurlady. Bien décidé à reprendre en main son destin, il lui enseigne la poésie et l’entraîne dans un concours qui pourrait changer leur vie. À elle le chèque du grand prix qui soulagerait sa famille nombreuse entassée dans un taudis, à lui la palme de la générosité qui redorerait son blason et l’estime de sa fille.
Tous les ingrédients sont réunis pour faire un beau feel good movie avec, en toile de fond, la poésie comme moteur d’intégration et élévateur social. Pourtant, le réalisateur Simon Mesa Soto en prend le parfait contre pied et en tire une farce cruelle, digne héritière de la comédie à l’italienne de Dino Risi ou d’Ettore Scola. Un Poeta aurait d’ailleurs pu s’appeler Le Monstre ou Affreux, Sale et Méchant tant Oscar rejoint la grande famille du cinéma des losers magnifiques : passionnants car détestables et détestables car passionnants dans leur faculté à tout foirer. En ce sens, le personnage n’est pas si éloigné de celui d’Adam Sandler dans Uncut Gems des frères Safdie ou du père de Toni Erdmann dans le film de Maren Ade : un être humain moralement médiocre et patriarche foireux qui, à force de vouloir faire le bien, ne fait qu’empirer sa situation de départ déjà bien mal embarquée.
Mesa Soto n’évite pas la chronique sociale naturaliste avec sa caméra à l’épaule et son image brute typique du 16mm, à ceci près qu’il déjoue le cliché romantique. La poésie n’est pas là pour élever les esprits et embellir le quotidien par la beauté des petites choses, seulement une opportunité de se sortir de la misère. Les quelques scènes de lecture sont d’ailleurs d’une certaine amertume, témoignant de la marginalité des deux protagonistes par rapport à ce milieu, et complètent les saillies avinées d’Oscar qui déboulonnent les idoles de la poésie sud-américaine, en premier lieu Gabriel Garcia Marquez. Surtout, le cinéaste fait de sa galerie de personnages un sujet d’étude sociologique autant qu’une matière humoristique qu’il met en scène avec dynamisme. Le corps enseignant et organisateurs du concours censément progressistes se révèlent parfaitement conformistes, la jeune Yurlady n’a aucune ambition artistique et aspire juste à être une ado normale tandis que sa famille, majoritairement chômeuse, ne recule pas devant les petites combines. C’est ainsi que le film se dirige dans son dernier tiers vers une intrigue Me Too, les proches de la collégienne accusant Oscar d’attouchements sexuels. Mesa Soto étire les scènes de confrontation jusqu’au dégoût, dont une scène au malaise interminable dans le taudis familial qui n’est pas sans rappeler le Radu Jude des débuts et, en premier lieu, Papa vient dimanche. On souhaite au cinéaste colombien de garder le même regard cynique et de suivre la trajectoire de son compère roumain.

Un poète, en salles prochainement.