Au cœur des volcans : requiem pour Katia et Maurice Krafft 

Par Emmanuel Burdeau

Werner Herzog a déjà filmé des volcans. En 1977, il s’est rué en Guadeloupe à l’annonce d’une éruption prochaine ; celle-ci n’aura pas lieu, mais un film se fera quand même, baptisé La Soufrière d’après le volcan capricieux. En 2007, tournant en Antarctique Rencontres au bout du monde, il se lie d’amitié avec le volcanologue britannique Clive Oppenheimer. Oppenheimer a été en 2016 son partenaire pour un tour d’horizon des cratères de la planète, intitulé Au fin fond de la fournaise. On y croise, brièvement, Katia et Maurice Krafft. C’est à eux qu’Herzog rend hommage avec Au cœur des volcans. Il est une chose que Herzog a déjà faite également – parfois, rarement –, mais qu’il ne fait plus. Rater un film. Cela a pu lui arriver – plutôt côté fiction que documentaire – ; cela ne lui arrivera plus. À 82 ans, l’Allemand a acquis trop d’expérience, sa fréquentation du désastre est trop ancienne pour qu’il risque encore le faux pas. Et même s’il dérapait, il y trouverait matière à méditer sur les ruses du hasard ou la petitesse de l’homme dans l’univers. 

Le cinéma là où on ne l’attend pas  

Au cœur des volcans, comme toujours avec lui, parle de cela. Ce beau documentaire était inratable encore pour une raison plus profonde : il s’agit d’un film qui appartient moins à Herzog qu’aux deux volcanologues alsaciens morts en 1991 au Japon. Au cœur des volcans se compose pour l’essentiel d’images tournées par le couple lors d’expéditions à Hawaï, au Mexique ou ailleurs. Seuls le montage, le choix de la musique et, bien sûr, la voix off sont d’Herzog. Superbes images funèbres de lave coulant sans fin ou d’églises ensevelies sous la cendre. Mais images où l’on peut voir aussi un homme et une femme amoureux dont la caméra se sera volontiers égarée à l’écart des cratères pour enregistrer la vie qui va ou qui, plutôt, refuse de s’en aller. 

Herzog voit en Krafft des cinéastes. C’est le miracle des images laissées par eux qui, dit-il, l’a convaincu de réaliser cet hommage. Au cœur des volcans est un film sur le cinéma. Cela peut surprendre venant d’Herzog : on sait que le cinéma en tant que tel le passionne peu ; il lui préfère la marche ou l’apocalypse. Justement, Herzog cherche le cinéma hors du cinéma : pour qu’il s’y intéresse, il faut que celui-ci se produise où on ne l’attend pas, qu’il soit l’œuvre d’artistes improvisés dont la véritable vocation reste ailleurs. Grizzly Man, déjà, saluait le cinéaste Timothy Treadwell. Déjà aussi, Herzog suggérait que Treadwell, trop occupé à filmer les ours, ne s’était pas assez méfié d’eux et que cette imprudence avait été cause de sa mort.  L’admiration est ici du même ordre : entière mais critique. Il est clair pour Herzog que le désir d’images animant les Krafft n’a pas seulement engendré une beauté inédite. Ce désir les a parfois détournés de leur travail scientifique. Il les a exposés au ridicule, en particulier celui de Maurice, adoptant pour la frime la pipe et le bonnet rouge de Cousteau… Pis, il les a rendus aveugles au danger. Point capital. C’est là, en effet, qu’Au cœur des volcans redevient in fine un film appartenant à Herzog et rien qu’à lui. Il aime à le répéter toujours davantage : lui seul sera resté assez sain d’esprit pour ne jamais franchir la limite entre filmer et mourir. Il est donc probable que le cinéaste continuera longtemps encore à retracer l’histoire tragique de ceux – tous les autres, à l’en croire – à qui cette sagesse fit défaut. Tant mieux. Par Emmanuel Burdeau 

Au cœur des volcans : requiem pour Katia et Maurice Krafft, en salles le 20 décembre.