Au boulot !, de François Ruffin et Gilles Perret
Ils vivent en marge de la société, touchent plus d’aides que de raison et ne contribuent pas autant qu’ils le devraient à l’effort national. Au boulot !, en salles ce mercredi 6 novembre, met donc les pieds dans le plat : « Peut-on réinsérer les riches ? » Une question en forme d’argument de départ pour François Ruffin et Gilles Perret afin de donner une nouvelle fois une place et la parole à la France des classes populaires… avec le concours improbable de la « Grande Gueule » Sarah Saldmann. Par Vincent Gautier.
Dans la cabine du tracteur d’Élie, probablement le dernier endroit où l’on s’attendrait à la voir, Sarah Saldmann lâche un constat d’une grande lucidité dans Au boulot !: la télévision ne veut pas de gens qui doutent. Heureusement pour elle, Sarah Saldmann ne doute de rien. Passionaria du libéralisme, pourfendeuse de « l’assistanat » ulcérée par ce « pays de feignasses », l’avocate s’est fait une spécialité des avis tranchés et des sentences sans appel, sur RMC, Cnews ou chez Cyril Hanouna. Jusqu’à estimer le 10 février 2023 sur le plateau des « Grandes Gueules », face à François Ruffin, que gagner 1 300 euros par mois était « déjà pas mal ».
Le député lui a répondu par une invitation, celle de vivre avec un tel salaire pendant trois mois. Pour Sarah Saldmann, une semaine, c’était encore une fois « pas mal ».
Ce défi aux airs de parodie de Rendez-vous en terre inconnue rappelant également les plus belles heures de Vis ma vie sert de point de départ à Au boulot ! avec un questionnement affiché : « Peut-on réinsérer les riches ? » Sous-entendu, la bourgeoisie argentée a fait sécession, vivant dans un monde parallèle lui permettant toutes les licences sans avoir à en répondre devant ceux qu’elle accable (smicards, galériens et accidentés de la vie). François Ruffin et son complice documentariste Gilles Perret, tout en cherchant à faire ouvrir les yeux et les oreilles à leur cobaye, ne visent pas tant à transformer sa vision politique qu’à le confronter à l’impact réel de sa parole médiatique. Que tout le monde se rassure : sur ce plan, la mission est bien évidemment un échec. La chroniqueuse a beau verser des larmes de crocodile en écoutant Louisa, une auxiliaire de vie, ou partager son effarement devant le travail répétitif dans une usine de conditionnement de poissons, le naturel reviendra au galop à peine amorcé le retour sur les plateaux de télé.
Comme on le comprend au fil d’Au boulot!, les deux coréalisateurs font surtout tenir à Sarah Saldmann le rôle d’appât. Abandonnant petit à petit la ribambelle de saynètes estampillées « fish out of water » souvent très drôles, Ruffin et Perret continuent le sillon du road movie qu’ils avaient déjà creusé avec leurs précédentes collaborations, J’veux du soleil ! et Debout les femmes ! De Saint-Étienne à Grigny, d’Abbeville à Amiens, ils s’ingénient à tisser une alliance de la « France des bourgs » et de la « France des bourgs » tant désirée par le député pour détricoter le cliché de la « France des assistés », le supposé bon sens d’une retraite repoussée à 64 ans et les mérites d’un SMIC à 1 300 euros, pardon 1 400 euros net à l’heure où ces lignes sont écrites. Avec pour principale limite que ces portraits font souvent office d’illustration pour chaque sujet, à une ou deux exceptions près, et ajoutent au caractère didactique du film déjà saillant avec le procédé initial. Reste désormais à voir si Sarah Saldmann et tous ses clones peuplant les ondes seront réceptifs à ce programme de réinsertion. Il est permis d’en douter tant, en la matière, il y a encore beaucoup de boulot à faire.
Au boulot !, en salles le 6 novembre