AKILLA’S ESCAPE de Charles Officer

À Toronto, le gouvernement légalise la marijuana. Akilla s’apprête à lâcher sa ferme illégale quand il est victime d’un braquage violent. Il capture l’un des jeunes agresseurs et va tout faire pour le convaincre de quitter le gang auquel il appartient et qu’il connaît bien… Sélectionné au Festival de Toronto en 2020, Akilla’s Escape de Charles Officer (avec un Saul Williams intense) est maintenant disponible en exclusivité sur UniversCiné. Le cinéaste revient sur ce projet semé d’embûches.

Il y a un ancrage politique et historique très précis, notamment à travers le gang fictif, sorte de double du Shower Posse (gang jamaïcain impliqué dans le trafic d’armes et de drogues, très implanté au Canada notamment) …

Sur l’île dans les années 60 et 70, la politique et la violence étaient liées. Ma mère vivait là-bas à l’époque et enfant, j’ai été bercé par cet héritage historique. J’ai commencé à y retourner, à renouer avec ma famille sur place, notamment mon oncle, qui faisait partie du gang. On discutait beaucoup et il était transparent avec moi. Le plus dingue c’est qu’une fois en prison, il a réalisé que le gang se foutait de son sort. Ça lui a permis de tout quitter au bon moment, heureusement pour lui. Mais surtout, j’ai voulu montrer que la violence politique n’est jamais restreinte à un pays ou à une île. Tout cela voyage. D’où l’importance de faire naviguer le récit de la Jamaïque à New York et Toronto, où je vis. Une fois que ce chemin a été pris, que tout a navigué, on oublie l’origine et l’histoire. On ne voit que des gamins dans un gang, qui ne connaissent pas l’histoire à laquelle ils appartiennent malgré eux.

En 2010, Christopher Coke, le leader du Shower Posse, est extradé de Jamaïque. C’est un peu ce qui vous lance dans le développement de votre projet ?

C’est là que j’ai commencé à écrire le scénario. Il y avait beaucoup de remue-ménage politique : des manifs ici à Toronto, mais tellement de choses se passaient aussi en Jamaïque. Les forces de l’ordre pourchassaient Coke dans des communautés où il ne se trouvait pas. Quatre-vingt-cinq personnes ont été blessées en 24 heures. Il y a eu des fusillades, les forces spéciales ont débarqué sans se poser de questions. C’était honteux. La vérité, c’est que la CIA avait aidé cette organisation à se structurer et à prendre le pouvoir depuis des années. D’un seul coup, ces structures légales se mettent à exécuter les leaders de cette même communauté pour qu’ils ne parlent pas. C’est évident, mais personne n’a creusé cette partie de l’histoire.

Comment se passe le développement ?

Il y a eu deux scénarios. J’ai d’abord fait un documentaire dans la communauté où j’ai décidé d’ancrer ma fiction. Parmi les gamins que je filmais, j’ai dû en convaincre certains de ne pas rentrer dans les gangs. Des mecs plus vieux voulaient leur faire vendre des armes. Je pense que c’est ma responsabilité d’essayer de les détacher de ça, parce que tu sais comment ça se termine : mal. C’est exactement le cheminement d’Akilla dans le film. J’ai aussi été amené à rencontrer un type qui était le vrai Akilla. Son père était jamaïcain. Sauf que lui, sa vie newyorkaise a fait qu’il a été mêlé à la mafia italienne. Son activité avec eux l’a amené à fuir au Canada. Il est devenu un témoin-clé dans un procès pour exposer le Shower Posse ici, à Toronto. On lui a offert une protection de témoin qu’il a refusée. Quand on s’est rencontrés, il m’a dit : « Et puis tu sais quoi mec, j’ai déjà ma propre protection… J’ai la mafia italienne. » Du jour au lendemain, il a disparu. Impossible de le retrouver. Je pense qu’il est vivant mais caché quelque part.

La question de la légalisation de l’herbe et de la façon dont le trafic mute en réaction aux changements politiques est aussi au cœur du film…

Quand la légalisation a été instaurée au Canada, j’ai vu toute l’hypocrisie du gouvernement. À Toronto, le chef de la police a passé des années à mettre en prison des pauvres mecs qui trimbalaient deux grammes et dont la vie était flinguée parce qu’ils avaient un casier. Donc pas de possibilités d’emploi. D’un coup, ce même ancien chef de la police devient le leader du ministère de la Santé et projette de devenir « le Starbuck de la weed ». On se concentre sur les profits de la légalisation avant de gérer les individus qui ont été mis à l’écart de la société, à cause de quelque chose qui n’est désormais plus répréhensible. Donc je voulais montrer avec Akilla un personnage ayant une autre idée du monde, un point de vue différent sur la question. Pas quelqu’un qui pense entreprise, business, capital. Il vient incarner un point de vue culturel plus traditionnel sur une plante médicinale qu’on vient rendre aux consommateurs au lieu de l’interdire. Ça a toujours été un outil pour parvenir à une connexion spirituelle.