No Beast So Fierce de Burhan Qurbani
Par Quentin Convard.
Richard III : le maudit, le dernier des York, le roi laid au dos courbé, bref, le représentant du vice, de l’infamie, de la traîtrise, de la bassesse, de tous les maux du monde médiéval, actuel et futur. Sa récente réhabilitation qui le présenterait en bon gestionnaire, en valeureux chef militaire, en dirigeant généreux ainsi que son inhumation tardive en grande pompe à la suite de la découverte de son cercueil en 2012 (contée dans The Lost King de Stephen Frears) ne peuvent lutter face à plus de 400 ans de lobbying assassin shakespearien. Et la très libre relecture de la pièce du dramaturge anglais par le cinéaste germano-afghan Buhran Qurbani ne va pas redorer le blason du monarque déchu.
On peut ainsi classer les adaptations de Shakespeare : d’un côté celles, littérales, qui ne veulent pas froisser l’œuvre du maître, risquant de tomber dans une emphase guindée et empruntée ; écueil dont même Joel Coen n’a su s’extirper avec son austère Macbeth. De l’autre, il y a l’adaptation loufoque et explosive qui peut avoir le mérite de dépoussiérer des histoires vieilles de cinq siècles tout en conservant le suspens, la moelle morale et les leçons de vie que Shakespeare insufflait à ses histoires. Buhran Qurbani appartient clairement à cette deuxième famille, reprenant dignement le flambeau porté haut par Justin Kurzel (son Macbeth) ou Baz Luhrmann (Roméo + Juliette). Le premier sortait les muscles et rivalisait d’effets visuels dans un maelström jouissif, le second transformait la plus célèbre des histoires d’amour en carnaval baroque et excessif. Au tour de Buhran Qurbani d’offrir un écrin démesuré au sanglant Richard III.
Une mise en scène virtuose
Richard devient donc Rachida (la comédienne de théâtre Kenda Hmeidan), les familles aristocratiques anglaises sont maintenant des parents mafieux berlinois, les perfides assassins se transmuent en une nourrice implacable (glaçante Hiam Abbass) et le verbe shakespearien se fait langage germano-arabe. À part ça, l’intrigue reste peu ou prou la même, mais transposée dans des bas-fonds allemands mi-réalistes, mi-hallucinés. Pour dominer la pègre, la crainte et machiavélique Rachida va zigouiller tous les membres de sa propre famille susceptibles de lui barrer la route. Au-delà des thèmes intemporels du pouvoir, de la violence et de la folie distillés dans l’œuvre de Shakespeare, cette adaptation repose en tout premier lieu sur sa mise en scène folle mais maîtrisée, funambule mais toujours aboutie, parfois kitsch mais totalement assumée. Il y a là la radicalité de Robert Eggers, l’extravagance de David Lowery ou encore le jusqu’au-boutisme de George Miller. Buhran Qurbani assume totalement le parti pris du théâtre filmé, que le genre impose malgré lui, mais dynamite totalement le concept, jouant sans cesse avec ses cadrages osés et ses décors crépusculaires, ses ralentis, transformant même une scène de vision en un clip affolant et libérateur, que ne renierait certainement pas la M.I.A des grands jours. Il serait dommage de passer à côté de cet ovni, car rarement le travail de l’auteur britannique aura été le véhicule d’un cinéaste aussi audacieux.
No Beast So Fierce, en salles le 26 mars.