HOW TO SAVE A DEAD FRIEND de Marusya Syroechkovskaya 

À l’ACID l’année dernière, une jeune cinéaste russe, Marusya Syroechkovskaya, faisait irruption en posant une question déroutante : “How to save a dead friend” ? La réponse va de soi : en faisant un film. Après une diffusion sur Arte, sa sortie en salles ce 28 juin offre l’opportunité de ne pas passer à côté de cette météorite à la fois glaciale et brûlante. 

Un terrain neigeux, quelque part au milieu de la campagne russe. Et un trou, dans lequel on enterre un homme. Autour, il y a des cris, des pleurs, quelques embrassades. Ces images brutes et saccadées qui ouvrent le film annoncent la couleur et le message sera martelé plus tard par la réalisatrice en off : dans cette histoire qui se présente comme un journal intime filmé, on se marie peut-être, mais pas pour vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants. Il n’y a pas de happy end, car c’est la “vrai vie” et dans cette vie-là, dans cette « Russie de la déprime », la jeunesse se drogue et se suicide à tour de bras. Le jeune couple formé par Marusya et Kimi (son premier amour) perd ses amis les uns après les autres et vivent au jour le jour avec cette idée : on sera les prochains sur la liste. On le comprend très vite, le jeune Kimi, que l’on devine intelligent, curieux et plein de malice dans les premières séquences, n’échappera pas à cette autre forme d’épidémie – plus insidieuse – qui plonge les forces vives de la nation dans la dépression et les pulsions auto-destructrices.

Avec Marusya, ils se rencontrent en 2005. Adolescents, le coup de foudre est immédiat. Ils aiment les chats, le grunge ou faire la fête et partagent un background familial chargé en traumas. D’emblée, sans se poser de questions – et bien avant les smartphones, Tik Tok ou Instagram – ils se mettent à filmer leur quotidien avec des petites caméras, même quand l’un pleure et qu’il faut faire des blagues pour sécher ses larmes, ou que l’autre a de gros boutons à immortaliser à grand coups de zooms. Des années plus tard, Syroechkovskaya a donc rassemblé cette matière éclatée dans un montage par moments très “rock” qui colle à l’esprit “no future” du couple, sans tomber pour autant dans le clip MTV crépitant et nostalgique. Le tout est scandé par des images de manifestations réprimées et des présidents russes qui se succèdent à la télé : Eltsine, Medvedev, Poutine… Comme pour rappeler en passant que le malaise profond de cette jeunesse sans horizon ni espoir ne date pas d’hier.

La célèbre formule de Cocteau, qui définissait le cinéma comme étant “la mort au travail, la mort au présent » est quasiment devenue une lapalissade, mais on tombe rarement sur un film qui s’accroche aussi fermement à ce programme. On pense parfois au terrassant docu d’Hervé Guibert, La Pudeur ou l’Impudeur, réalisé en 1992 pour TF1 (!) dans lequel il tournait la caméra DV sur lui, pour filmer crûment les derniers moments de sa vie de malade du sida. Mais là où Guibert était seul, How to save a dead friend sculpte un mausolée joyeux à cette histoire d’amour et s’achève sur un échange épistolaire post-mortem, avec cette conclusion, simple et bouleversante dans la bouche de Marusya : “Merci davoir été d’excellente compagnie, Kimi.